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Omar Aktouf. économiste

«La seule ‘‘stabilité’’ semble être celle des gains et privilèges des gens du pouvoir et de leurs clientèles»

Professeur en management à HEC Montréal (Canada), Omar Aktouf n’est plus à présenter. Dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder, l’économiste connu et reconnu dans le monde entier tire la sonnette d’alarme sur les dangers qui guettent l’Algérie. Pour lui, le chômage abyssal des jeunes sur fond de développement d’une caste d’affairistes et fortunés aux revenus aussi insensés que douteux sont des ingrédients d’une révolte annoncée, d’autant que, regrette-t-il, rien n’indique que le régime actuel ait tiré une quelconque leçon de ce qui est arrivé en Tunisie, Egypte… et aujourd’hui en Syrie ou en Ukraine. Bien au contraire.

-La candidature «muette» de Bouteflika à sa propre succession pour un quatrième mandat a plongé l’Algérie dans un climat d’incertitudes. Pourtant, notre diaspora à l’étranger, loin d’être négligeable, reste étrangement placide. Pourquoi ?

Personnellement, je ne dirais pas que notre diaspora est «placide», mais plutôt qu’elle est (tout comme moi-même, en fait) profondément atterrée et tétanisée devant l’ampleur inouïe de la gabegie et de l’ubuesque qui atteignent aujourd’hui notre pays, devenu la risée mondiale. Je pense aussi que notre diaspora reste les bras ballants devant l’extrême timidité (pour ne pas dire silence total) de ladite «communauté internationale» face à ces tréfonds de bafouage de la démocratie qui frappent l’Algérie (alors qu’elle se déchaîne par ailleurs à propos de ce qui se passe en Ukraine, Iran et autres Venezuela). Notre diaspora me semble également profondément perplexe, sinon au comble de la déception et du désenchantement devant l’apathie (même s’il y a çà et là de relatives protestations et manifestations isolées) dont font preuve nos «élites» de la société civile «établie», qu’elles soient intellectuelles ou, surtout à mon avis, institutionnelles-corporatistes du genre FCE et ses think-tanks, associations «progressistes» diverses, cohortes d’«experts internationaux» nationaux abonnés aux séjours en Algérie.

Ces «élites» qui, souvent, n’hésitent pas à se positionner en parangons de la modernisation de l’Algérie, de sa mise à niveau «démocratique» et «business-stratégique», se voulant au diapason des nations les plus «évoluées», se révèlent finalement (sans généraliser, il y a évidemment des exceptions) bien plus opportunistes et prêtes à s’accommoder de n’importe quel Néron, Staline, Tartarin, ou même fantôme à la tête du pays. Et ce, en plus des cliques, galonnées ou non, qui gravitent autour et qui assurent la pérennité des magouilles, appuis occultes et passe-droits, nid de bien des «affaires» juteuses.

Le sort du pays et du peuple n’a jamais fait partie de leurs préoccupations en dépit des discours poujadistes-populistes dont ces milieux font preuve à l’occasion, pourvu que soit garantie la continuité de leur confortable affairisme et de leurs intérêts égoïstes immédiats. Ceux-ci sont par ailleurs largement présentés (et opportunément relayés par certains médias aux ordres, vulgate ultra-libérale aidant), comme synonymes de l’intérêt général, de sources de progrès économiques et sociaux, de créations d’emplois, de développement collectif… Sinon de propulsion du pays au rang de «l’émergence» grâce à une miraculeuse éclosion de salutaires héros-entrepreneurs-leaders qui méritent, en plus de leur enrichissement personnel infini, vénération, adulation et reconnaissance (ce dont on voit les résultats par exemple au Mexique où se trouve le second homme le plus riche du monde et 45% de la population en pauvreté absolue).

La persistance de ce genre de pensée chez nos «élites» économiques (ainsi que chez certains médias, certaines franges de la société civile), malgré les cuisants échecs du néolibéralisme — et ipso facto des modes de gouvernance — management qui l’accompagnent —, donne pour nous une amère impression d’aveuglement dogmatique ultra libéral. Dogmatisme devenu non seulement stupide mais désormais criminel (comme le répètent inlassablement, entre autres, des Nobel tels que Stiglitz, Krugman, ou des R. Reich, Al Gore, etc.).

A cette impression d’aveuglement doublée d’ignorance volontaire de toute autre forme de pensée que néolibérale, vient s’ajouter celle de l’emprise d’un pur et simple arrivisme-opportunisme fortement appuyé sur un désastreux (et fort lucratif pour ceux qui en profitent) statu quo théorique et idéologique, s’acharnant à ressasser les mêmes leitmotiv : ce qui fait le boulimique intérêt des dominants ferait aussi, automatiquement et par on ne sait quelle vertu de pensée magique, celui des masses populaires. Faire sans cesse plus de néolibéralisme est non seulement censé guérir les maux issus de ce même néolibéralisme, mais aussi propulser vers de radieux lendemains de «changements et progrès».

Pour finir sur cette question, il me semble qu’il est un autre aspect de fort grande importance : ne pas oublier qu’une partie (largement) non négligeable de notre diaspora entretient de bien juteuses relations de business avec le système Algérie tel qu’il est et a presque toujours été, Bouteflika ou pas : ce sont les intermédiaires de tous poils, les représentants de multinationales, les «consultants» en tout et rien, les innombrables vecteurs de ristournes et rétro-commissions, les omnipotents experts importateurs de «modèles occidentaux avancés» qui viennent donner un salutaire adoubement «scientifique» aux plus douteuses des pratiques d’enrichissements illimités, sinon de lavage d’argent public, d’évasion fiscale, d’exploitation infinie des citoyens et de la nature (la sempiternelle «stratégie de la compétitivité»)… Cette diaspora-là, par ailleurs la plus visible au pays, ne dénoncera jamais ni ne se lèvera contre qui que ce soit au pouvoir en Algérie tant que les poches des uns et des autres se remplissent.

-Qu’est-ce qui fait courir, selon vous, les adeptes du 4e mandat ? Est-ce pour maintenir un système de prédation ou pour, comme ils le prêchent, garantir la stabilité et le progrès économique ?

Un certain Einstein répétait que «Refaire constamment les mêmes choses et clamer ou espérer qu’il en résultera le changement, relève soit de la bêtise soit de la folie». Voilà un des aspects sur lesquels ce régime Bouteflika qui n’a cessé de promettre emplois pour les jeunes, justice sociale, transparence des institutions, Etat de droit, solidarité nationale… a, plus que les autres (car il avait le recul et le temps d’en voir les dégâts mondiaux, et cela jusqu’aux portes mêmes de l’Algérie, en Europe) gravement failli, autant socialement qu’économiquement et politiquement. Il est gravement coupable de ne pas avoir compris (ou refusé de comprendre) que s’imposait d’urgence une totale rupture avec les doctrines néolibérales et un virage radical vers des «modèles» quasiment aux antipodes du modèle libéral-US, et qui ont largement et constamment fait leurs preuves : ceux de l’Europe du Nord et des Tigres et Dragons asiatiques.

J’insiste sur ce point, car partout ce sont les milieux d’affaires-faiseurs d’argent (money makers comme on dit sans hypocrisie ni complexe en langue anglaise) qui sont présentés (et se présentent) comme des super-élites philanthropiques, preux chevaliers sauveurs des peuples, du bon droit, de la démocratie, de l’économie, du bien-être général, du «progrès». Et c’est bien ce que l’on voit chez nous : cette super-élite de money makers est, à grands renforts de triomphants think-tanks et super «experts» made in US ou France…, ainsi présentée et imposée aux Algériens. Le résultat est que notre peuple, intellectuels et institutions de la société civile compris, finit par être dupe de ce discours, et même par s’en approprier les principes idéologiques érigés en haute science.

C’est alors que peuple et société civile apparaissent finalement, et malgré les sporadiques protestations, à la diaspora comme tout aussi tétanisés qu’elle, las, fatigués d’années de violences et de sang, en plus d’être «achetés» par manne pétrolière interposée, embrigadés, muselés, férocement réprimés à la moindre manifestation ; bref, impuissants et n’aspirant qu’à une chose : décrocher un visa pour l’étranger et fuir une patrie qui leur échappe de toutes parts.

-Quel scénario voyez-vous pour l’après-17 avril 2014 ? Un «printemps algérien» serait-il inéluctable ?

Je dirais que personnellement je crains, hélas, autant un avant le 17 avril qu’un après, bien que je souhaite ardemment me tromper. Car, malheureusement, tous les ingrédients (et même plus) qui ont conduit au déclenchement desdits printemps arabes semblent réunis : chômage abyssal des jeunes ; fortunes et revenus aussi insensés que douteux de nos nouveaux super riches (une quarantaine de milliardaires et cinq milliers de millionnaires en euros connus !) dont certains figurent dans les «top 500» du monde ; ampleurs sans précédent des inégalités et injustices qui en découlent ; absence endémique de perspectives pour la jeunesse ; catastrophique Education nationale ; multitudes de diplômés chômeurs ; inflation hors contrôle ; revenus d’exportations (qui ne sont qu’hydrocarbures) en baisse à cause des chutes des prix mondiaux et des produits de schistes ; importations en hausse à cause des spéculations internationales sur tous les produits de premières nécessité ; «Etat» qui n’est plus que chaise musicale de rentiers, scandales, couverture de méga corruption, figuration bureaucratique sclérosée, comité de gestion des intérêts de ses kidnappeurs de l’ombre et de la nouvelle classe dominante d’arrivistes qui s’y accrochent ; agriculture sinistrée ; industrie, infrastructures, PIB… ridiculement anémiques, même comparés à des nains comme la Malaisie ; secteur privé largement extraverti avec des entreprises (statistiques désormais dépassées sans doute) dont 68% des chefs ne déclarent pas leurs salariés aux caisses de sécurité sociale, 72% les rémunèrent en dessous du SNMG, 55% les font travailler 12 heures par jour ; des centaines de jacqueries populaires un peu partout pratiquement tous les mois ; conflits sociaux qui virent aux affrontements ethniques sanglants (région du M’zab par exemple)…

Ne voilà-t-il pas une dangereuse accumulation d’ingrédients d’une bombe à retardement qui n’attend que l’étincelle fatidique ? Craignons, à Dieu ne plaise, que ce ne soit cette grotesque candidature fantomatique, avant ou après le 17 avril. Il est connu en sociologie politique que lorsqu’environ 25% d’une population est spoliée au point de ne plus rien avoir à perdre, la révolution n’est pas loin. Reste à espérer qu’elle ne soit point sanglante, ou que nos «élites» et dirigeants/dominants se mettent de toute urgence à vraiment changer les choses et appliquer ce conseil de Machiavel : «Prince, si tu crains la révolution, fais-la !». Hélas ! Je ne peux être de ceux qui clament «la stabilité» du pays comme synonyme du règne de l’actuelle présidence. Je ne vois personnellement que stagnations et reculs, la seule «stabilité» semble être celle des gains et privilèges de nos gens du pouvoir et de leurs clientèles, autant intérieures qu’extérieures. Nous ne sommes en effet pas du tout à l’abri d’un printemps algérien. Je ne vois nulle part qu’on ait tiré une quelconque leçon de ce qui est arrivé en Tunisie, Egypte… et aujourd’hui en Syrie ou Ukraine. Bien au contraire.

-Ce climat politique délétère ne risque-t-il pas d’avoir des conséquences gravissimes au plan économique, notamment sur la confiance dont notre pays a plus que jamais besoin auprès de ses partenaires étrangers, des institutions et des marchés financiers ?

Le climat délétère dont on parle ne fera, à mon sens, qu’aggraver un manque de confiance déjà «structurel» qui accable l’Algérie depuis des années. Sa cote dans le monde est déjà bien basse : que de lamentables classements dans les indicateurs internationaux de sérieux, de qualité de vie, de gouvernance. Rien de nouveau sous le soleil, si ce n’est d’autres nuages qui s’accumulent dans notre ciel, et dont notre pays se serait bien passé. Ma position sur la question des partenaires étrangers et des institutions internationales (les FMI, Banque mondiale, OMC…) a toujours été limpide : rien de bon pour les pays non nantis et tout pour les pays riches et les riches des pays pauvres.

Ce que le dernier Davos, l’OIT, Oxfam… viennent de confirmer en montrant comment ces institutions et leur néolibéralisme entêté conduisent à la mainmise de la finance sur les Etats, l’aggravation de la pauvreté globale, l’enrichissement insolent des multinationales, le saccage du tiers-monde, l’hyperconcentration stérile des richesses (85 personnes possèdent l’équivalent de l’avoir de la moitié de la planète, 400 citoyens américains possèdent plus de richesses que la moitié de la population US, etc.), la destruction des classes moyennes, la dévastation de la nature… Que ces institutions se tiennent loin de l’Algérie ne me pose aucun problème, au contraire ! Quant aux investisseurs étrangers et aux marchés financiers, on voit bien les résultats de leurs actions un peu partout (à commencer par le chaos argentin de 2003 et à finir par la déroute de l’Europe en voie d’être classée — hors Allemagne —, comme ensemble de «pays émergents» et une France «sous surveillance»).

Les investisseurs ne cherchent qu’à retirer toujours plus que ce qu’ils mettent, quitte à corrompre, spolier, déplacer des populations, polluer, semer la misère, voire la mort et les génocides (région des grands lacs en Afrique subsaharienne, notamment). Les marchés financiers ne sont pratiquement que spéculation, argent sale, évasions fiscales (manipulation de la dette grecque par Goldman Sachs, survaleur titanesque de Facebook, Microsoft, Google…, gigantesques magouilles fiscales et monétaires de McDonald, Starbucks, Barclay…). Pour moi, l’Algérie doit d’abord se sortir de sa tenace image d’absence de sérieux, d’incessant bricolage politico-économique, et ensuite rompre d’urgence avec l’économisme néolibéral et ses sous-produits assassins : le «stratégisme-managérialisme» à l’américaine.

Regardons vite du côté de pays qui ont brillamment réussi «autrement», comme les Tigres et Dragons asiatiques, dont la minuscule Malaisie (double du PIB algérien, moitié de la taille de la France). Cette question renvoie à celle des institutions et leur fonctionnement. Or, ce que l’on voit le plus en Algérie c’est une agitation frénétique autour de l’importation de modes, programmes et diplômes (MBA, DBA…) qui ne sont que techniques, how-to, simples procédures de niveau méso et micro : ce qui se retrouve derrière des théories et pratiques traitant de «stratégie», «management», «gouvernance»… Tout cela n’est que «techniques» ou modalités opératoires absurdes en soi, manquant cruellement de perspective autres que le fait de «prendre soin de l’argent» et le multiplier à n’importe quel prix. Ce dont nous manquons le plus, c’est de vision macro, de paradigme, de finalité, de sens et de raisons quant à ce que nous faisons en guise d’activités dites économiques. Pour qui ? Pourquoi ? Pour quel projet de société ? Quelle communauté humaine ? Quel niveau de vie et pour qui ? Aucun «how-to» ne répond à ces questions fondamentales. La multiplication des écoles de gestion à la US (que du «how-to») et des diplômés de ces écoles temples du néolibéralisme ne feront qu’aggraver les choses, point ! Une constituante serait ici fort utile pour établir un projet de société et dire si notre peuple veut une Algérie à la US ou non.

-L’Algérie est très mal classée dans de nombreux domaines socio-économiques au moment où le Premier ministre Sellal sillonne le pays en louant les grandes réalisation du Président-candiadat. Un changement de cap est-il inélucatble ?

Ce sont des statistiques et des faits dévastateurs pour notre pays. Elles ne font que confirmer ce que l’on atteint à foncer tête baissée dans les affres du néolibéralisme et du désormais létal modèle US qui a été utile et efficace en un temps passé, mais qui n’est plus que criminels boursicotages et châteaux de cartes financiers sur le dos des classes moyennes, de la nature et du salariat (voir Inequality for all de R. Reich et Inconvenient truth de Al Gore…). Ce ne sont pas là les «réalisations» de notre seul Président-candidat actuel, elles découlent de politiques économiques faites de bric et de broc et de fantaisistes revirements d’incompétents depuis quasiment l’indépendance de notre pays.

De plus, depuis l’ère de notre «ouverture» au capitalisme et la mondialisation néolibérale, l’Algérie a tout abdiqué au dieu marché autorégulé («institution qui n’a ni cœur ni cerveau» comme disait le Nobel Paul Samuelson). Ce sera donc ma conclusion : confier le destin de pays et peuples à un prétendu «libre marché» n’est que dénaturation de l’Etat devenu repaire de businessmen et vassal d’un nouveau clergé imposant les desiderata du business comme «sciences», «ordre naturel des choses». Or, les forces du business mènent, lorsque non surveillées et encadrées (elles le sont, avec les résultats qu’on connaît, en Allemagne, Suède, Japon, Malaisie, Corée du Sud…) inéluctablement aux corruptions (les lobbies US ne sont qu’hyper corruption légalisée), aux scandales, aux injustices, aux inégalités, à l’épuisement accéléré de la nature. Il n’est pas trop tard pour l’Algérie pour changer de cap, mais le temps joue terriblement contre nous.

Naima Benouaret
in El Watan, 10 mars 2014


Perspectives Algériennes….

Omar Aktouf à El Watan,
Publication du 6 février 2011.

Q1 : Le Collectif de solidarité avec les luttes du peuple algérien pour la démocratie et l’État de droit que vous avez initié avec l’écrivaine Zehira Houfani devrait organiser au Canada une action de soutien à la marche prévue le 12 février en Algérie. Quelles sont les motivations de votre actions et ou en sont les préparatifs ?

OA : les motivations de ce genre d’action, pour ce qui me concerne, restent dans la lignée des positions que j’ai toujours eues envers ce qui se passe dans notre pays. Cela fait des années sinon des décennies que je tiens les mêmes analyses et propos sur l’Algérie (cf. Algérie entre l’exil et la curée, l’Harmattan, 1989, entre autres), à savoir que notre pays est tombé, pratiquement depuis l’indépendance entre les mains d’aventuriers sans scrupules, d’ignorants arrogants et boulimiques… qui ont définitivement tombé les masques dès la maladie, puis le décès de feu Boumediene. Sous prétexte, alors «d’ouverture» de notre économie vers une dite «économie de marché»… a tout d’un coup «fleuri» toute une faune d nouveaux riches algériens, tous plus ou moins proches, cooptés, ou directement liés à nos différents pouvoirs : le FLN, l’Armée, le gouvernement. On assiste dès lors, de façon non dissimulée, au pillage systématique des richesses de notre pays (avec la complicité agissante et fort bienveillante – sous prétexte de barrer la route à l’islamisme-terrorisme-, des puissances occidentales, Paris et Washington en tête). Ce pillage se fait sans vergogne au profit de nos ploutocrates locaux, et des multinationales étrangères allègrement appelée à la rescousse (sous couvert d’investissements étrangers). On a vu et on en voit les résultats : scandale après scandale ; depuis celui de «Houbel» dès l’époque Chadli à ceux de la Sonatrach, en passant par les autoroutes, le métro d’Alger, les télécommunications, les constructions de logements…. Aucun secteur n’échappe à la mise à sac de nos richesses détournées par quelques hauts officiers, les différents régimes politiques et leurs acolytes et complices. Pratiquement comme on l’a vu pour la Tunisie, tout business, toutes formes d’affaires en Algérie, sont devenues au vu et au su de tous, juteuses occasions de bâtir de colossales fortunes autour de nos pouvoirs, tout en réduisant le peuple à des hordes de coureurs d’œufs et d’oignons, affamés, chômeurs, sans logement, sans loisirs, sans avenir… poussés à se faire «harragas». Alors que, avec ses richesses (naturelles et humaines) notre pays aurait pu devenir «le Japon de la Méditerranée». On en a fait le Bengladesh du Maghreb ! Voilà les raisons pour lesquelles j’ai contribué à lancer ce collectif de soutien d’Algériens du Canada, afin de passer le message le plus fort possible, à la fois à nos dirigeants et à nos contestataires sur place: que le premiers comprennent que nul Algérien où qu’il se trouve ne veut encore d’eux, et que les second sachent qu’ils ne sont pas seuls, qu’un relais au sein des pays occidentaux, comme le Canada, capables de donner grand écho international à leurs actions et les transformer en pressions décisives, prend forme et se mobilise à leurs côtés. Pour ce qui est du 12 février, marche interdite en Algérie ou pas, nous ferons tout pour mobiliser ici ce collectif et soit appuyer et relayer ce que nos frères et sœurs feront là bas, soit dénoncer haut et fort l’escalade de la tyrannie algérienne. Je rappelle, pour être le plus clair possible et une bonne fois pour toutes, que ce collectif ne roule pour personne et pour aucun parti. Sons seul et unique objectif est de réunir le plus possibles d’Algériennes et d’Algériens, sans aucune forme de «couleur» politique ou partisane, sinon le souci d’épauler nos compatriotes en lutte conte une dictature et une abjecte ploutocratie qui n’ont que trop durés.

Q2 : Les autorités algériennes ont réduit les événements du début du mois de janvier à des émeutes du pain. Dès l’annonce de la baisse des prix de quelques denrées la tension a baissé. Pensez-vous que l’Algérie en a fini avec les émeutes ?

OA : réduire ce genre de réactions populaires à quelque chose de moins significatif ou détourné de sons sens profond, du genre «émeutes de la faim» ou autres manipulations étrangères» est le propre de tout pouvoir aux abois et de toute dictature qui ne dit pas son nom. Les pouvoirs tunisien et égyptien ont tenté la même chose lors des débuts des manifestations en leur sol : on a bien vu le résultat. Les peuples ne peuvent être dupes et muselés par la force et le mensonge indéfiniment. Bien sûr il y a la cherté foudroyante et soudaine du coût de la vie et des denrées de base, un peu partout dans le monde. L’Algérie ne saurait échapper aux conséquences du réchauffement climatique, de la flambée des pris pétroliers, de la sécheresse qui sévit en Russie, Argentine, Chili… des cataclysmiques inondations en Australie… tous phénomènes alimentent l’inflation et raréfient l’offre mondiale de céréales, d’oléagineux… ce qui met le feu aux spéculations tous azimuts sur les prix mondiaux, et, inévitablement frappe de plein fouet le déjà bien maigre pouvoir d’achat de nos masses populaires. Mais comme j’ai eu à le répéter à bien des reprises, cela n’est que la goutte qui fait déborder un vase d’écœurement déjà trop plein ! Non, les hausses des prix des produits de base ne sont pas et n’ont jamais été autre chose qu’un élément déclencheur, une étincelle qui a mis le feu à des barils de poudre déjà tout près à exploser. Nous sommes avec cette question de hausse de prix, devant, non pas une raison de fond, mais devant un facteur d’overdose de spoliation, d’écrasement de peuples trop longtemps traités en quasi esclaves au service d’infinis boulimiques gouvernants, partis, dirigeants… aussi despotiques fantoches qu’illégitimes, violents et arrogants. La «hagra» n’a que trop duré, point ! Pour compléter ce tableau, il convient d’ajouter à quel point nos peuples, algérien en premier, en ont assez de voir leurs pouvoirs plier piteusement l’échine, pour se maintenir, devant les intérêts occidentaux, devant les souffrances infligées au peuple de Palestine, l’arrogance du sionisme, le pillage des multinationales, la destruction arbitraire de l’Iraq et de l’Afghanistan, les menaces contre l’Iran et la Syrie. La rue a tout simplement grande honte de ces régimes maghrébins et arabes qui ont abdiqué tout sens de l’honneur et tout sens civique pour se muer en valets rampants devant ex colonisateurs, devant forces impérialistes et sionistes… devenir eux-mêmes nos nouveaux Pieds Noirs, colonisateurs et affameurs de leurs propres citoyens. Cela ne peut durer. Leur renversement par la révolte populaire n’est que question de date depuis longtemps. Ils ont oublié un peu trop vite que l’écrasante majorité de leurs populations composées de jeunes de moins de 20-30 ans, souvent bien diplômés, informés et instruits, désormais insensibles aux creuses propagandes et autres grossières métaphysiques patriotiques… n’est que bombe à retardement qui ne restera sûrement pas les bras croisés devant le rouleau compresseur de foulage au pied de leur dignité, de leurs droits, de leur survie. Les régimes occidentaux l’ont bien compris en lâchant successivement Ben Ali et Moubarak… les dominos sont en marche, même si ces occidentaux espèrent, ne soyons pas naïfs, récupérer «transitions» et futurs changements. Donc, que les prix baissent ou pas, qu’on inonde les Algériens de semoule et d’huile ou non, le mouvement qui s’est amorcé est une lame de fond qui intègre et transcende les revendications des peuples Arabes et Maghrébins, les emportant dans un même soulèvement contre de mêmes despotes totalement vendus au néocolonialisme, au néolibéralisme et aux nouveaux impérialismes.

Q3 : En novembre dernier Dominique Strauss –Kahn, le directeur général du FMI, en visite à Alger, gratifiait l’Algérie d’un satisfecit pour son taux de croissance. Quelques semaines après, des émeutes embrasaient l’Algérie.

Quel sens peut-on donner alors à cet indicateur (la croissance) ?

OA : le directeur général du Fond Monétaire International (que j’ai toujours dénommé Fond de la Misère Internationale) joue le rôle qu’il a toujours eu à jouer au service des intérêts des pays nantis, USA en premier. Que ce soit DSK ou Camdessus, ou quiconque à leur poste, leur première mission est de distribuer des satisfécits aux régimes «bons élèves» qui privatisent et bradent docilement aux multinationales les fleurons de leurs économies (pensons au cas argentin), qui ouvrent grand leurs terres et gisements à la voracité de l’insatiable Occident, qui se transforme en néo colonisateurs de leurs propres pays. L’Algérie a prestement adhéré à ce club dès les années 1970, pliant devant les diktats de l’ordre néolibéral, tentant de faire passer pour intérêt national ce qui n’est qu’enrichissement infini de nos potentats et boulimique mainmise occidentale sur nos richesses. Le taux de croissance, ou PNB, ou encore PIB n’est en ce sens qu’un miroir aux alouettes qui ne rend compte de rien d’autre (et encore avec quelles méthodes, quelle fiabilité…) que des flux et accumulation de numéraires. Ce taux ne reflète ni le degré de pillage des richesses nationales par l’étranger, ni les inégalités, ni les «accumulations» dues à des phénomènes ou activités négatives, nocives… ainsi, le PIB ne tient pas en compte les montants expatriés au nom de profits des multinationales, il comptabilise comme «croissance» les conséquences de catastrophes naturelles, d’épidémies, d’accidents, de pollutions, de production de déchets… des guerres etc., Un pays comme l’Algérie peut recevoir ce genre de compliments du FMI quelques semaines avant de graves soulèvements populaires, tout simplement parce qu’aucune trace des profondes inégalités de fortunes et de revenus n’apparait dans les mesures qu’il appliquent à commencer par le PNB ou le PIB. Ainsi le «revenu par habitant» peur paraître en «croissance» alors qu’il n’est sans doute que le résultat de tout ce qu’il a fallu dépenser pour soutenir 10 ans de guerre civile (en pompant allègrement notre pétrole), le résultat de l’artificielle-spéculative flambée des prix des hydrocarbures qui n’a aucun rapport avec un quelconque «progrès» dans notre façon de mener l’économie, celui de l’appel massif aux Chinois et autres pour combler à la hâte nos abyssaux déficits en infrastructures… etc., etc. ce n’est pas pour rien non plus que j’ai pour habitude dire que le meilleur indice qu’un pays du tiers monde est en train de sombrer, c’est lorsqu’il reçoit des compliments de la part du FMI, de la Banque mondiale, de l’OMC…

Q4 : Vous avez affirmé récemment que l’une des premières solutions à la crise algérienne, du moins sur le plan économique, est de se débarrasser de tous les détenteurs de MBA. Pouvez-vous expliquer votre approche ?

OA : j’affirme ce genre de choses depuis bien longtemps. Celles et ceux qui me connaissent un peu partout à travers le monde, savent que mon discours n’a jamais varié d’un iota : j’ai toujours et inlassablement écrit, crié, répété… que «rien de bon» ne peut venir des USA et de leur modèle, à commencer par le soi-disant fleuron de leurs «succès» matériels : leur management et son pivot central, le sacro-saint MBA (master of business administration). Ce diplôme ne sanctionne que des enseignements purement techniques (pour ne pas dire technocratiques) basés sur d’hétéroclites «habiletés» acquises en différentes matières totalement vouées au pragmatisme le plus étroit et à l’enrichissement pour l’enrichissement. «Habiletés» telles que finance, comptabilité, production, stratégie… volontiers confondues avec «savoir scientifiques». Les détenteurs de ce genre de diplôme (soit dit en passant de pure et totale origine US), ne peuvent avoir de vision sur les choses de ce monde qu’en fonction de ce en quoi il peut contribuer à sans cesse hausser le cash-flow, les profits, les dividendes des actionnaires, l’enrichissement individuel à n’importe quel prix. Même un Henry Mintzberg (et bien d’autres) ont fini par crier haut et fort que ce diplôme ne forme le plus souvent que de prétentieux arrogants qui se croient de grands savants et qui démolissent tout sur leur passage au nom de la maximisation des profits, avec comme seule devises «égoïsme exacerbé» et «fin justifie les moyens»… C’est ce qui a conduit à la catastrophique crise de 2007 – 2008 : des MBA –finance qui ont cru pouvoir faire des montagnes d’argent en jouant sur la détresse des classes démunies des USA et sur la cupidité sans scrupules des institutions financières. Les pays du tiers monde doivent plutôt regarder du côté des pays qui n’ont pas ce genre de diplôme (ni de business schools à la US) et qui réussissent vraiment, qui se portent bien sur le long terme, qui font vivre leurs citoyens en état de dignité, qui envahissent le monde avec leurs produits et services d’excellente qualité… : l’Allemagne, les pays Scandinaves, le Japon… Il faut cesser urgemment de confondre maximisation de l’argent pour l’argent et enrichissement infini des riches avec bien être des peuples et santé des économies. Or c’est là exactement ce que ce diplôme induit comme convictions auprès de ses détenteurs. Les «habiletés» et les techniques que le MBA permet d’acquérir ne sont évidemment pas, en soi, inutiles et néfastes, mais elles ne peuvent avoir du sens et donner leur pleine (bonne) mesure que si elles sont étroitement encadrées par des idéaux plus nobles et plus élevés que le simple désir d’enrichissement individuel, c’est-à-dire (comme dans les pays cités plus haut) inscrites dans un projet de société, mises au service d’un marché régulé par un État soucieux du bien être de tous et de la préservation de sa nature (ne pas confondre ici État et la majorité des régimes actuels qui ne sont que comités de gestion de classes dominantes). En un mot, les indéniables capacités techniques que procure le MBA ne serviraient correctement que si appuyées sur une solide culture générale, un solide souci du collectif et du bien commun, une expérience professionnelle variée, riche et profondément réfléchie, et, surtout, une conception de l’économique au service du social et non l’inverse.

Q5 : La diaspora algérienne pourra-t-elle réellement apporter quelque chose pour son pays d’origine que ce soit sur le plan économique ou politique?

OA : oui, bien sûr ! Autant sur les plans économiques que politiques, pour moi les deux sont intimement liés. Toute politique est une économie et toute économie est politique. Mais j’y mets des conditions incontournables :

* que cette diaspora ne soit pas traitée en «force» à récupérer par des régimes ploutocrates-corrompus,
* que, elle-même, cesse (c’est assez souvent le cas, hélas, même de bonne foi) de se comporter en «vecteur-complice» d’intérêts extérieurs (et intérieurs) de type égoïste-néocolonialiste,
* qu’elle cesse d’importer dans nos pays des façons d’être et de faire de type «capitalisme financier-néolibéral», on en a assez vu les limites et les dégâts !
* que nos régimes (une fois devenus des États intègres dignes de ce nom) fassent comme le Japon, la Chine… : donner à cette diaspora les conditions, localement, pour donner pleine mesure à ses talents, et ce y compris sur le plan purement politique, en mettant à profit l’inestimable capital de réseaux, de connaissance «de l’intérieur» de ce qui se passe ailleurs et du «comment cela se passe»….