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L’ouvrage intitulé De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences –  Une vision du Maghreb, publié cette semaine par le Centre de recherche en études appliquées pour le développement (Cread) en collaboration avec le bureau de l’Organisation internationale du travail (OIT) à Alger sous la houlette du sociologue et chercheur Mohamed Saïb Musette, offre une analyse   intéressante sur un phénomène qui vide le pays de sa substance et incite à s’interroger sur la place des  élites dans la société algérienne.

Les médecins spécialistes voient leur avenir ailleurs

Beaucoup de médecins, formés en Algérie, voient leur avenir sous d’autres cieux. C’est, en tout cas, l’un des enseignements de l’étude De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences… publiée cette semaine par le Centre de recherche en études appliquées pour le développement (Cread). Il y aurait, à en croire le Dr Zehnati, statisticien, près de 10%  de médecins formés en Algérie à exercer dans les hôpitaux français. Au-delà du simple constat, il est à s’interroger sur les raisons qui poussent les blouses blanches à accepter un déclassement et un niveau de vie inférieur.

Les motivations des médecins qui choisissent de s’exiler demeurent une énigme pour les chercheurs du Cread. Elles ne sont probablement pas salariales vu que les docteurs en médecine sont mieux lotis en cette matière que d’autres secteurs. Affirmer que les médecins algériens sont bien payés serait bien sûr aller vite en besogne, mais les salaires qu’ils perçoivent sont plus importants que ceux des autres cadres du secteur public. «Si nous comparons le salaire moyen avec les salaires perçus par les médecins du secteur public, il est clair qu’ils gagnent plus que le salaire moyen d’un cadre en Algérie.

 

Le médecin généraliste perçoit 32% de plus que le salaire moyen, le maître assistant 54% de plus, le médecin spécialiste de santé publique perçoit 88% de plus, et le professeur chef d’unité est rémunéré presque quatre fois plus qu’un cadre dans les autres secteurs  de l’économie», souligne le Dr Zehnati. La raison est donc à chercher probablement, susurrent des chercheurs au Cread, dans le type de gouvernance qui domine dans le système médical. Cela s’apparenterait à un «mouvement socio-politique». «L’individu se sent mort dans la communauté», explique un sociologue qui insiste néanmoins sur une étude psychologique du phénomène.

 

Ce sont les psychiatres algériens qui sont les premiers à répondre aux sirènes de l’occident, représentant un taux de 30% installés en France, suivis par les radiologues (15,55%), les ophtalmologues (13,10%) et les anesthésistes en réanimation (12,96%). Quant à la chirurgie générale et la gynéco-obstétrie, elles affichent les plus faibles taux de fuite avec respectivement 3,45% et 3,18%. Les docteurs en médecine représentent 22,46% de l’ensemble des effectifs des diplômés les plus élevés exerçant en France. Ils se situent presque au même niveau que les ingénieurs avec 23,73% de l’ensemble.

37% des compétences algériennes en France touchent plus  de 2500 Euros

Les Algériens qualifiés osent désormais l’aventure professionnelle sous d’autres cieux. Mohamed Saïb Musette, qui a analysé les différentes statistiques, fait remarquer dans une étude consacrée à la fuite des cerveaux que les hommes et les femmes ayant un niveau d’études supérieur et qui choisissent de s’établir à l’étranger sont désormais – presque – à parts égales. «On constate, explique-t-il, qu’il y a 24,8% des femmes et 27% des hommes avec un niveau d’études supérieur. Peu de différences existent entre les femmes et les hommes, avec une forte féminisation chez les jeunes. Ils sont en majorité en pleine maturité (classe d’âge 25-45 ans)».

 

Au vu des chiffres, il apparaît que les compétences algériennes installées à l’étranger s’en sortent plutôt bien. Plus de la moitié des immigrés algériens qualifiés avaient un contrat de travail à durée indéterminée, 11% exerçaient des professions libérales, et 9,2% étaient au chômage. Pas moins de 34% d’Algériens installés en France sont des cadres ou exercent des professions intellectuelles, contre 14% qui sont des «employés».

Le niveau des rémunérations des compétences originaires d’Algérie varie entre moins de 500 euros à 8000 euros et plus. Le regroupement des niveaux, en trois classes plus ou moins homogènes, donne 35% des personnes qui perçoivent moins de 1500 euros, 25% entre 1500 et 2500 euros, et puis 37% avec plus de 2500 euros. La rémunération comprend, précisent les auteurs, une catégorie de personnes sous-payées, mais elle dépend aussi du volume horaire de travail, donc de la nature du contrat de travail. Une part importante des médecins a obtenu son diplôme en Algérie. On observe aussi une progression d’Algériens détenteurs de 3e cycle.

Ils sont pour la plupart en activité. Ils connaissent certes le chômage, mais nettement moins que ceux qui n’ont pas de formation universitaire. Ils occupent pour la plupart des postes d’emploi dans des professions libérales et intellectuelles. En tout et pour tout, il y a un niveau assez faible de «brain waste» – soit à travers des emplois n’exigeant pas de niveau supérieur ou alors ils sont sous-employés avec une faible rémunération. «Ce phénomène peut donner lieu à des  »gains » pour l’Algérie d’une autre manière à partir de la migration de retour, réelle ou virtuelle», estime Saïb Musette, optimiste.

«Certaines compétences se sentent inutiles en Algérie»

La course à l’obtention  d’un bac français ou d’un diplôme d’équivalence (notamment en médecine) le prouve : les compétences nationales cherchent souvent de belles opportunités de travail hors des frontières de leur pays natal. La liste des «causes endogènes» suscitant une envie d’ailleurs chez les intellectuels algériens égrenée par Mohamed Saïb Musette est longue : la recherche de meilleures opportunités de travail, l’attrait des diplômes des universités de renommée ou des grandes écoles étrangères, les avantages matériels et financiers offerts aux cadres et universitaires algériens, la prospection d’un meilleur environnement professionnel et d’un cadre de vie qualitatif, les lourdeurs administratives, les blocages bureaucratiques, les difficultés socio-économiques et les limites d’épanouissement culturel motivent le départ de cadres et d’universitaires, les faibles débouchés pour les diplômés, en particulier universitaires, le souci d’assurer un meilleur avenir à ses enfants.

La cause du départ dépasse, selon lui,  le cadre individuel et se détermine pour des considérations familiales et sociales. En effet, souligne le sociologue, des adultes, des jeunes, issus principalement de familles aisées, quittent le pays dès l’obtention du bac «français». «Ce phénomène, dit-il, s’est amplifié avec l’avènement des écoles privées et l’ouverture des lycées français en Algérie qui préparent à ce bac. Des instituts et des écoles supérieures privées sont ouverts principalement à Alger, affiliés à des établissements similaires étrangers. Les enfants d’expatriés algériens ne rejoignent pas le pays après la fin de leur cursus universitaire ou à la sortie d’une grande école.»

Le fait est que le référent de la réussite sociale et professionnelle en dehors de l’accomplissement universitaire et scientifique a été flouée dans ses références et ses valeurs. «Un segment de compétences (intellectuelle et professionnelle), décrypte Musette,  se considèrent comme marginalisées et inutiles. Le savoir et les diplômes ne seraient pas des critères objectifs et incontournables de l’ascension sociale et professionnelle, l’affairisme et le favoritisme seraient devenus les moyens reconnus et privilégiés. Les compétences vont donc tenter de s’accomplir et de s’épanouir ailleurs, notamment dans certains pays du Nord.»

A cela s’ajoutent des facteurs exogènes, comme les facilitations d’installation dans le pays d’accueil, l’octroi de bourses d’études,  l’impact des «success stories» dans les motivations de la recherche des opportunités d’études et de travail à l’étranger ou encore le recrutement à la source, en Algérie, des compétences.  Entre les facteurs de répulsion (endogènes) et les facteurs d’attraction (exogènes), il existe une multitude d’obstacles qui sont autant de barrières à franchir. Dans son «Etude sur les étudiants maghrébins en France», (2004), Abdelkader Latreche observait que 27% des étudiants algériens en France n’envisagent pas le retour au pays, la plupart en formation doctorale, dont 46% pensent partir vers d’autres horizons.

Le difficile retour des migrants

Les migrants qui passent le moins de temps dans leur pays d’accueil sont plus amenés à revenir. A en croire l’étude menée par le sociologue et chercheur Mohamed Saïb Musette,  près de 37% des migrants maghrébins qualifiés qui sont rentrés au pays n’ont séjourné que 5 années ou moins dans le pays d’accueil, et seulement une minorité (8%) est restée une période de 27 ans ou plus. Il faut dire que pour les binationaux, les difficultés sont grandes. Mohamed Saïb Musette en relate quelques-unes dans l’ouvrage du De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences publié cette semaine. Les migrants de retour sont parfois vus d’un mauvais œil par leurs compatriotes algériens.

 

Aux compétences envoyées par le gouvernement pour suivre une formation à l’étranger et préférant rester dans le pays de leurs études on reproche leur égoïsme et le manque de leur engagement pour leur pays qui les a formées. «Ayant signé un contrat d’engagement avant leur départ pour l’étranger, ces compétences doivent faire l’objet, selon les partisans de cette attitude de poursuites judiciaires pour rembourser les frais de leur formation payée en devises. Les clivages et les attitudes hostiles des compétences algériennes restées au pays sont étroitement liés aux avantages matériels et les conditions de travail revendiqués par les compétences sollicitées en contrepartie de leur participation.

Le rapport aux compétences établies à l’étranger se transforme, ainsi, en un problème dès qu’il est perçu sous l’angle des privilèges de la réussite», fait remarquer le sociologue. Il cite notamment l’exemple du recrutement du groupe Cevital de deux cadres émigrés. «A la recherche de deux cadres de haut niveau capables d’apporter un savoir-faire nécessaire à la compétitivité du groupe sur le marché national et régional, relate-t-il, les responsables de ce groupe ont fait appel à un cabinet de recrutement anglais qui a jugé que le recrutement des deux cadres d’origine algérienne est plus approprié pour le contexte algérien (…)

L’installation de ces deux cadres a donné lieu dans un premier temps à un mouvement de mécontentement des cadres du groupe qui ont reproché à la direction de suivre une politique de discrimination entre les cadres exerçant les mêmes fonctions. Ce mouvement de mécontentement a vite évolué vers un mouvement de grève qui a fini par obliger la direction du groupe à renoncer au recrutement des deux cadres en question». S’il est vrai qu’il y a eu des échecs, il est à noter qu’il existe aussi de belles réussites des compétences algériennes revenues au bercail.

Innovation : Une richesse inexploitée

L’Algérie dispose d’une richesse inestimable : notre pays compte pas moins de 539 inventeurs…mais ils  vivent dans 23 pays différents. Les inventeurs algériens comptent à leur actif pas moins de 3036 inventions contre seulement 300 dans leur pays. «Malheureusement, écrit Mohamed Saïb Musette,  l’Algérie ne profite guère de ses inventeurs qui résident pour la majorité d’entre eux aux Etats Unis d’Amérique, en France et au Canada.

L’existence de ce potentiel intervient au moment où les capacités d’invention en Algérie sont très faibles.» Le fait est que le recueil de l’invention publié par la Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique (DGRSDT) révèle l’écart important entre le nombre de brevets déposés par les inventeurs algériens restés au pays et celui des inventeurs établis à l’étranger.

 

Amel Blidi in El-watan le 11.02.16 |
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