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L’ouvrage intitulé De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences –  Une vision du Maghreb, publié cette semaine par le Centre de recherche en études appliquées pour le développement (Cread) en collaboration avec le bureau de l’Organisation internationale du travail (OIT) à Alger sous la houlette du sociologue et chercheur Mohamed Saïb Musette, offre une analyse   intéressante sur un phénomène qui vide le pays de sa substance et incite à s’interroger sur la place des  élites dans la société algérienne.

Les médecins spécialistes voient leur avenir ailleurs

Beaucoup de médecins, formés en Algérie, voient leur avenir sous d’autres cieux. C’est, en tout cas, l’un des enseignements de l’étude De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences… publiée cette semaine par le Centre de recherche en études appliquées pour le développement (Cread). Il y aurait, à en croire le Dr Zehnati, statisticien, près de 10%  de médecins formés en Algérie à exercer dans les hôpitaux français. Au-delà du simple constat, il est à s’interroger sur les raisons qui poussent les blouses blanches à accepter un déclassement et un niveau de vie inférieur.

Les motivations des médecins qui choisissent de s’exiler demeurent une énigme pour les chercheurs du Cread. Elles ne sont probablement pas salariales vu que les docteurs en médecine sont mieux lotis en cette matière que d’autres secteurs. Affirmer que les médecins algériens sont bien payés serait bien sûr aller vite en besogne, mais les salaires qu’ils perçoivent sont plus importants que ceux des autres cadres du secteur public. «Si nous comparons le salaire moyen avec les salaires perçus par les médecins du secteur public, il est clair qu’ils gagnent plus que le salaire moyen d’un cadre en Algérie.

 

Le médecin généraliste perçoit 32% de plus que le salaire moyen, le maître assistant 54% de plus, le médecin spécialiste de santé publique perçoit 88% de plus, et le professeur chef d’unité est rémunéré presque quatre fois plus qu’un cadre dans les autres secteurs  de l’économie», souligne le Dr Zehnati. La raison est donc à chercher probablement, susurrent des chercheurs au Cread, dans le type de gouvernance qui domine dans le système médical. Cela s’apparenterait à un «mouvement socio-politique». «L’individu se sent mort dans la communauté», explique un sociologue qui insiste néanmoins sur une étude psychologique du phénomène.

 

Ce sont les psychiatres algériens qui sont les premiers à répondre aux sirènes de l’occident, représentant un taux de 30% installés en France, suivis par les radiologues (15,55%), les ophtalmologues (13,10%) et les anesthésistes en réanimation (12,96%). Quant à la chirurgie générale et la gynéco-obstétrie, elles affichent les plus faibles taux de fuite avec respectivement 3,45% et 3,18%. Les docteurs en médecine représentent 22,46% de l’ensemble des effectifs des diplômés les plus élevés exerçant en France. Ils se situent presque au même niveau que les ingénieurs avec 23,73% de l’ensemble.

37% des compétences algériennes en France touchent plus  de 2500 Euros

Les Algériens qualifiés osent désormais l’aventure professionnelle sous d’autres cieux. Mohamed Saïb Musette, qui a analysé les différentes statistiques, fait remarquer dans une étude consacrée à la fuite des cerveaux que les hommes et les femmes ayant un niveau d’études supérieur et qui choisissent de s’établir à l’étranger sont désormais – presque – à parts égales. «On constate, explique-t-il, qu’il y a 24,8% des femmes et 27% des hommes avec un niveau d’études supérieur. Peu de différences existent entre les femmes et les hommes, avec une forte féminisation chez les jeunes. Ils sont en majorité en pleine maturité (classe d’âge 25-45 ans)».

 

Au vu des chiffres, il apparaît que les compétences algériennes installées à l’étranger s’en sortent plutôt bien. Plus de la moitié des immigrés algériens qualifiés avaient un contrat de travail à durée indéterminée, 11% exerçaient des professions libérales, et 9,2% étaient au chômage. Pas moins de 34% d’Algériens installés en France sont des cadres ou exercent des professions intellectuelles, contre 14% qui sont des «employés».

Le niveau des rémunérations des compétences originaires d’Algérie varie entre moins de 500 euros à 8000 euros et plus. Le regroupement des niveaux, en trois classes plus ou moins homogènes, donne 35% des personnes qui perçoivent moins de 1500 euros, 25% entre 1500 et 2500 euros, et puis 37% avec plus de 2500 euros. La rémunération comprend, précisent les auteurs, une catégorie de personnes sous-payées, mais elle dépend aussi du volume horaire de travail, donc de la nature du contrat de travail. Une part importante des médecins a obtenu son diplôme en Algérie. On observe aussi une progression d’Algériens détenteurs de 3e cycle.

Ils sont pour la plupart en activité. Ils connaissent certes le chômage, mais nettement moins que ceux qui n’ont pas de formation universitaire. Ils occupent pour la plupart des postes d’emploi dans des professions libérales et intellectuelles. En tout et pour tout, il y a un niveau assez faible de «brain waste» – soit à travers des emplois n’exigeant pas de niveau supérieur ou alors ils sont sous-employés avec une faible rémunération. «Ce phénomène peut donner lieu à des  »gains » pour l’Algérie d’une autre manière à partir de la migration de retour, réelle ou virtuelle», estime Saïb Musette, optimiste.

«Certaines compétences se sentent inutiles en Algérie»

La course à l’obtention  d’un bac français ou d’un diplôme d’équivalence (notamment en médecine) le prouve : les compétences nationales cherchent souvent de belles opportunités de travail hors des frontières de leur pays natal. La liste des «causes endogènes» suscitant une envie d’ailleurs chez les intellectuels algériens égrenée par Mohamed Saïb Musette est longue : la recherche de meilleures opportunités de travail, l’attrait des diplômes des universités de renommée ou des grandes écoles étrangères, les avantages matériels et financiers offerts aux cadres et universitaires algériens, la prospection d’un meilleur environnement professionnel et d’un cadre de vie qualitatif, les lourdeurs administratives, les blocages bureaucratiques, les difficultés socio-économiques et les limites d’épanouissement culturel motivent le départ de cadres et d’universitaires, les faibles débouchés pour les diplômés, en particulier universitaires, le souci d’assurer un meilleur avenir à ses enfants.

La cause du départ dépasse, selon lui,  le cadre individuel et se détermine pour des considérations familiales et sociales. En effet, souligne le sociologue, des adultes, des jeunes, issus principalement de familles aisées, quittent le pays dès l’obtention du bac «français». «Ce phénomène, dit-il, s’est amplifié avec l’avènement des écoles privées et l’ouverture des lycées français en Algérie qui préparent à ce bac. Des instituts et des écoles supérieures privées sont ouverts principalement à Alger, affiliés à des établissements similaires étrangers. Les enfants d’expatriés algériens ne rejoignent pas le pays après la fin de leur cursus universitaire ou à la sortie d’une grande école.»

Le fait est que le référent de la réussite sociale et professionnelle en dehors de l’accomplissement universitaire et scientifique a été flouée dans ses références et ses valeurs. «Un segment de compétences (intellectuelle et professionnelle), décrypte Musette,  se considèrent comme marginalisées et inutiles. Le savoir et les diplômes ne seraient pas des critères objectifs et incontournables de l’ascension sociale et professionnelle, l’affairisme et le favoritisme seraient devenus les moyens reconnus et privilégiés. Les compétences vont donc tenter de s’accomplir et de s’épanouir ailleurs, notamment dans certains pays du Nord.»

A cela s’ajoutent des facteurs exogènes, comme les facilitations d’installation dans le pays d’accueil, l’octroi de bourses d’études,  l’impact des «success stories» dans les motivations de la recherche des opportunités d’études et de travail à l’étranger ou encore le recrutement à la source, en Algérie, des compétences.  Entre les facteurs de répulsion (endogènes) et les facteurs d’attraction (exogènes), il existe une multitude d’obstacles qui sont autant de barrières à franchir. Dans son «Etude sur les étudiants maghrébins en France», (2004), Abdelkader Latreche observait que 27% des étudiants algériens en France n’envisagent pas le retour au pays, la plupart en formation doctorale, dont 46% pensent partir vers d’autres horizons.

Le difficile retour des migrants

Les migrants qui passent le moins de temps dans leur pays d’accueil sont plus amenés à revenir. A en croire l’étude menée par le sociologue et chercheur Mohamed Saïb Musette,  près de 37% des migrants maghrébins qualifiés qui sont rentrés au pays n’ont séjourné que 5 années ou moins dans le pays d’accueil, et seulement une minorité (8%) est restée une période de 27 ans ou plus. Il faut dire que pour les binationaux, les difficultés sont grandes. Mohamed Saïb Musette en relate quelques-unes dans l’ouvrage du De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences publié cette semaine. Les migrants de retour sont parfois vus d’un mauvais œil par leurs compatriotes algériens.

 

Aux compétences envoyées par le gouvernement pour suivre une formation à l’étranger et préférant rester dans le pays de leurs études on reproche leur égoïsme et le manque de leur engagement pour leur pays qui les a formées. «Ayant signé un contrat d’engagement avant leur départ pour l’étranger, ces compétences doivent faire l’objet, selon les partisans de cette attitude de poursuites judiciaires pour rembourser les frais de leur formation payée en devises. Les clivages et les attitudes hostiles des compétences algériennes restées au pays sont étroitement liés aux avantages matériels et les conditions de travail revendiqués par les compétences sollicitées en contrepartie de leur participation.

Le rapport aux compétences établies à l’étranger se transforme, ainsi, en un problème dès qu’il est perçu sous l’angle des privilèges de la réussite», fait remarquer le sociologue. Il cite notamment l’exemple du recrutement du groupe Cevital de deux cadres émigrés. «A la recherche de deux cadres de haut niveau capables d’apporter un savoir-faire nécessaire à la compétitivité du groupe sur le marché national et régional, relate-t-il, les responsables de ce groupe ont fait appel à un cabinet de recrutement anglais qui a jugé que le recrutement des deux cadres d’origine algérienne est plus approprié pour le contexte algérien (…)

L’installation de ces deux cadres a donné lieu dans un premier temps à un mouvement de mécontentement des cadres du groupe qui ont reproché à la direction de suivre une politique de discrimination entre les cadres exerçant les mêmes fonctions. Ce mouvement de mécontentement a vite évolué vers un mouvement de grève qui a fini par obliger la direction du groupe à renoncer au recrutement des deux cadres en question». S’il est vrai qu’il y a eu des échecs, il est à noter qu’il existe aussi de belles réussites des compétences algériennes revenues au bercail.

Innovation : Une richesse inexploitée

L’Algérie dispose d’une richesse inestimable : notre pays compte pas moins de 539 inventeurs…mais ils  vivent dans 23 pays différents. Les inventeurs algériens comptent à leur actif pas moins de 3036 inventions contre seulement 300 dans leur pays. «Malheureusement, écrit Mohamed Saïb Musette,  l’Algérie ne profite guère de ses inventeurs qui résident pour la majorité d’entre eux aux Etats Unis d’Amérique, en France et au Canada.

L’existence de ce potentiel intervient au moment où les capacités d’invention en Algérie sont très faibles.» Le fait est que le recueil de l’invention publié par la Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique (DGRSDT) révèle l’écart important entre le nombre de brevets déposés par les inventeurs algériens restés au pays et celui des inventeurs établis à l’étranger.

 

Amel Blidi in El-watan le 11.02.16 |
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L’exode des compétences algériennes vers les pays de l’hémisphère nord a lourdement affecté les efforts entrepris en matière de développement. Les conditions socioprofessionnelles et sécuritaires des années 90 étant, nettement, dégradées ont favorisé la fuite, l’installation et l’épanouissement de ces compétences sous d’autres cieux sans que l’Algérie ne puisse en tirer le moindre profit. Pire encore, l’ampleur des dégâts occasionnés à l’économie algérienne par ce phénomène est extrêmement ahurissante. « La fuite des compétences à cause de certaines conditions aussi délicates que dramatiques a coûté à l’Algérie plus de 100 milliards de dollars. » C’est du moins ce qu’a déclaré, hier, Farid Benyahia, professeur en relations internationales et consultant au Pnud, à l’issue d’une table ronde tenue au Forum d’El Moudjahid. Cet expert, auteur d’un ouvrage sur l’adhésion de l’Algérie à l’OMC, dira que cet état de fait constitue l’élément clé qui a grandement entravé le processus d’adhésion de l’Algérie à l’Organisation Mondiale du Commerce. Il faut dire, dans ce contexte, que les chercheurs et les experts algériens sont, pour le moins que l’on puisse dire, tenus à l’écart des bouleversements socioéconomiques et grandement marginalisés au plan social. On sollicite rarement leurs opinions concernant des questions aussi pertinentes soient-elles. Et avec les événements dramatiques survenus durant la décennie noire, l’exode vers les pays occidentaux est perçue comme unique solution afin de vivre en paix et avoir en main la clé de voûte de leurs projets. Plus de 100 milliards de dollars, ce chiffre, comparable à des revenus nationaux de certains pays, est malheureusement ce qu’a perdu l’Algérie en laissant ses élites, formées localement ou ailleurs avec des fonds nationaux, « errer » dans d’autres pays. « Maintenant, l’État doit investir davantage et revaloriser le capital humain », a clamé Farid Benyahia. L’Algérie se porte bien au niveau de la macroéconomie. Mais en contrepartie, ce succès reste, aux yeux de cet expert, grandement entravé par l’absence d’une stratégie économique claire. « Il faut bien réfléchir et avoir une stratégie industrielle, chose qui n’existe pas actuellement. Jusqu’ à quand les pouvoirs publics continueront-ils d’agir sans se doter d’une stratégie industrielle claire? », se demande l’intervenant et d’ajouter en guise de réponse : « pour ce faire, on doit revaloriser nos compétences et faire revivre la flamme du vrai nationalisme. Car rien n’est impossible quand on est motivé par l’amour du pays. C’est des hommes de valeur qui manquent. Actuellement l’Algérie ne possède guère de stratèges », a observé le conférencier. Selon lui, l’Algérie renferme des compétences professionnelles et des moyens techniques et financiers importants, mais elle est victime d’un système et à chaque fois qu’il y ait une occasion d’un décollage économique réel, des entraves de tous bords surgissent. « On a fait beaucoup d’erreurs. On a perdu beaucoup d’argent, tout simplement perce qu’on n’a pas de planification. Il faut savoir gérer son argent. On gère l’Algérie le jour au jour. Il n’y a pas de bonne gouvernance. L’Algérie et l’Algérien ont besoin de liberté, liberté économique, de penser et d’initiatives. L’Algérien réussit mieux dans un environnement de liberté », at- il déclaré sur un ton ferme, tout en ajoutant qu’« il faut qu’il y ait une vision lointaine et une volonté politique pour changer les choses et par ricochet adhérer à l’OMC ». Outre la fuite des cerveaux et l’inexistence d’une stratégie, le professeur Farid Benyahia, soulève plusieurs autres obstacles. Un système bancaire qui reste archaïque, d’énormes problèmes au niveau de la micro-économique, problèmes aigues au niveau de la gestion du foncier agricole et industriel… sont entre autres des problèmes qui font que notre économie a du mal à s’adapter aux règles de l’adhésion à cette organisation. En évoquant l’importation, il donnera l’exemple du commerce de véhicules qui est estimé, en 2008, à 3 milliards de dollars, ce coût permettra facilement la construction de 8 à 10 unités de montage. Même son de cloche chez un autre intervenant à cette table ronde en ce qui concerne l’inexistence d’une volonté politique permettant l’accession de l’Algérie à l’OMC. Outre cet état de fait, cet intervenant a tenu à soulever le problème de l’instabilité des membres du comité chargé de faire aboutir le dossier algérien. « On se demande si réellement les négociateurs sont à la hauteur de la mission dont ils ont la charge : Faire adhérer l’Algérie à l’OMC tout en défendant ses intérêts», s’est interrogé Alaoui.

In le Courrier d’Algérie-28.01.2010.


Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 20% des médecins français inscrits au Conseil national de l’Ordre des médecins sont… Algériens. Bien formés et habitués à travailler dans des conditions difficiles, ils représentent aussi une main-d’œuvre bon marché et comblent un manque d’effectifs.

«Vous avez vu, il marche maintenant !», lance une vieille dame en montrant son mari avancer prudemment dans le couloir. «Oui, c’est bien, c’est vraiment bien, il pourra sortir vendredi», répond Samir. Lunettes rectangulaires et barbe de trois jours, Samir, la trentaine, est arrivé en gériatrie un peu par hasard. Il y a exercé en tant qu’infirmier et y a pris goût. Des félicitations et des remerciements, il y en a partout sur ses feuilles d’évaluation. Après avoir obtenu le concours lui permettant d’exercer en tant que médecin en France, il attend de pouvoir être inscrit à l’Ordre des médecins et a, pour le moment, un statut de praticien attaché. Diplômé en médecine générale à Tizi Ouzou, il arrive en France en 2007. «J’ai fait des petits boulots et, en même temps, je faisais la capacité de médecine du sport. J’étais hébergé chez des amis. Après, pour me stabiliser, j’ai passé le concours d’infirmier, ça m’a permis de m’imprégner de la médecine française», explique-t-il. Il tient un an. «Je ne supportais plus de me voir en tant qu’infirmier, donner des cachets aux patients, sans responsabilité, sans rien.» Samir prépare alors la Procédure d’autorisation d’exercice (PAE). Selon la loi du 1er février 2012, les praticiens doivent passer une épreuve de vérification des connaissances. Il faut un certain nombre d’années d’exercice qu’on appelle les années probatoires, à effectuer dans des services de soins agréés pour la formation des internes français. «Le praticien passe un examen pratique écrit qui porte sur des cas cliniques concrets, plus un deuxième examen, sur présentation d’un dossier professionnel rempli par les chefs de service, sur la base duquel le parcours professionnel est évalué», explique Hocine Saal, médecin urgentiste et vice-président du Syndicat national des praticiens à diplôme hors Union européenne.

Régularisation

Il faut ensuite de nouveau déposer un dossier devant une commission d’autorisation d’exercice qui statuera sur l’aptitude du praticien à exercer en France. Après ça, le praticien s’adresse à l’Ordre des médecins et obtient son autorisation d’exercice et l’inscription à l’Ordre des médecins. «En moyenne, il s’écoule entre huit à dix ans entre le moment où le praticien pose le pied en France et le moment où il obtient l’autorisation d’exercer», précise Hocine Saal. Un délai relativement long, mais la loi de 2012 a fait beaucoup pour la régularisation des médecins diplômés hors de l’UE exerçant en France. Avant, la plupart exerçaient en tant que Faisant fonction d’interne (FFI), un statut d’étudiant à faible rémunération (1400 euros nets par mois). Cette loi a permis à tous ceux qui travaillaient en tant que FFI de changer de statut et de passer à praticien attaché ou associé, mieux rémunéré (1800 euros nets par mois). Et en quelques années via la PAE, les médecins associés ou attachés ont ensuite la possibilité de régulariser leur statut et obtenir le statut de praticien hospitalier. Une régularisation nécessaire, d’autant que la France a besoin de ces médecins étrangers, car elle manque d’effectifs. «Durant des années, les autorités ont serré le quota de médecins diplômés en France avec l’idée qu’en réduisant le nombre de médecins, ils réduisaient les dépenses de santé. Sauf que déjà à la fin des années 1980, ils savaient qu’il y avait un vide démographique. Depuis, ils ont remonté le quota des promos de médecine, mais il faudra combler ce manque pendant quelques années encore», explique Madjid Si Hocine, médecin gériatre et membre de l’association Solimed (Solidarité médicale franco-algérienne). Pour ceux qui sont arrivés avant que la loi ne donne un statut aux médecins étrangers, la situation est toute autre. Taïeb Ferradji, pédopsychiatre, est arrivé en France au début des années 1990.

A priori

Il a dû refaire intégralement ses études en France après dix ans d’études en Algérie. Soit dix-huit ans d’études en tout. «Ce qui était difficile, c’était d’arriver avec un diplôme de médecin spécialiste et de se rendre compte qu’en fait, il ne vaut rien. Il faut recommencer à zéro», explique-t-il. Madjid Si Hocine, médecin gériatre, est lui aussi arrivé en France à la même période. Jusqu’en 2005, les régularisations se font au compte-gouttes, alors dès que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) est créée, fin 2004, Madjid Si Hocine la saisit, avec d’autres médecins. «J’ai écrit au président de la Halde qui a jugé qu’il y avait une discrimination de traitement des médecins diplômés hors UE. Cela a eu un réel impact sur les lois.». Il y a, selon le Conseil national de l’Ordre des médecins, 17 835 médecins diplômés à l’étranger en activité en France et la majorité (22%) vient d’Algérie. Alors, quel regard portent les médecins français sur ces médecins algériens ? Le sentiment partagé par plusieurs d’entre eux est que le niveau des médecins formés en Algérie a baissé depuis quelques années. «J’ai l’impression que les médecins algériens étaient meilleurs il y a dix, quinze ans. Il y a eu un moment où l’apprentissage est devenu très livresque. Des médecins, excellents en termes de connaissances pures qui, une fois face à un patient, ne sont pas bons», estime le docteur Matthias Wargon, médecin urgentiste en région parisienne. Selon lui, le niveau des médecins formés en France ou même en Tunisie est homogène, alors que celui des médecins algériens peut varier du tout au tout. «Il y a des pays pour lesquels je vais être moins méfiant comme la Tunisie, que je situe au même niveau que la France. Pour les Algériens, je vais avoir un a priori moins favorable», reconnaît Matthias Wargon, qui a eu quelques expériences malheureuses avec des médecins algériens. Pour la plupart des médecins algériens interrogés, le retour au pays est envisagé, notamment pour transmettre les connaissances et le savoir-faire acquis en France, mais ce retour n’est pas toujours réalisable, les longues années passées dans le processus d’équivalence en France n’étant pas prises en compte en Algérie.

Paupérisation

«Si on retourne on Algérie, on perd deux ou trois ans. On doit retrouver notre place de résident. Bref, on ne peut pas faire marche-arrière. On est coincés en France. Si c’était à refaire, je ne repartirais pas parce que je ne vois plus ma famille restée là-bas», confie Samir. Et pourtant, en Algérie, les possibilités d’évolution sont plus nombreuses et les salaires augmentent. «Je pense qu’en Algérie, il y a plus de potentialités qu’en France, il y a plus de moyens. En France, la profession de médecin se paupérise», estime Madjid Si Hocine. Il veut voir les médecins algériens exerçant en France comme une force de travail mobilisable par l’Algérie. «Il faut voir le côté positif des choses : cela a permis aussi à des Algériens de se construire un niveau scientifique dans des domaines auxquels ils n’ont jamais eu accès. C’est un capital en jachère, c’est comme les réserves de pétrole dans le Sahara. La gériatrie n’est pas enseignée en Algérie. Moi, j’irai très volontiers donner quelques cours là-bas.» En France, après des années d’encadrement strict du nombre d’étudiants admis au concours en première année de médecine, ce numerus clausus devrait s’ouvrir dans les années à venir pour combler les besoins dans certaines régions.

Rebuffades

En moyenne, 85% des étudiants inscrits en première année commune aux études de santé (Paces) ne passent pas en deuxième année. Un taux d’échec qui peut créer des tensions au sein des services hospitaliers, en particulier face aux médecins étrangers qui n’ont pas à passer ce concours. «Nous, nous avons des infirmiers qui ont raté la médecine, donc quand ils voient un médecin avec un diplôme étranger qui n’a pas le niveau et qui peut quand même exercer, évidemment que cela crée des rancœurs», explique le docteur Wagron. «Pour beaucoup de Français, c’est un traumatisme, car dans beaucoup de familles, il y a un cousin, un neveu qui a voulu faire médecine et qui n’a pas réussi. Ce qui peut expliquer certaines rebuffades plus tard pour accéder à certaines positions», renchérit Madjid Si Hocine. Une «rebuffade», c’est ce qu’a vécu le docteur Ferradji. «On appelle ça le plafond de verre. On voit le ciel, mais on n’y accède pas», explique-t-il. Après treize années passées dans un hôpital de la région parisienne, il a changé d’établissement lorsqu’on lui a fait comprendre qu’il ne pourra jamais devenir professeur, en raison de son origine. «La patronne que j’avais là-bas m’a dit les yeux dans les yeux : ‘Si on était en Algérie, tu serais déjà professeur’.» Avant d’ajouter : «Je ne t’autorise pas à candidater», raconte le pédopsychiatre. «Les Algériens ont fait leur chemin depuis le début des années 1990, beaucoup ont réussi professionnellement», nuance Madjid Si Hocine. Il se dit heureux, épanoui professionnellement et pense que c’est le cas de beaucoup de médecins algériens en France. Lui aurait pu devenir professeur, mais il ne l’a pas souhaité. Avec les lois successives, le statut des médecins étrangers en France s’est éclairci, est devenu plus juste et si le chemin est long, il est largement réalisable. 

Les sages-femmes dans l’impasse :

Le cas des sages-femmes qui viennent travailler en France est encore plus compliqué. Leur statut est également régi par cette loi de 2012. Elles doivent donc passer le concours, celui de la procédure d’autorisation d’exercice (PAE). Cela coince lorsque les lauréates du concours doivent effectuer leur année probatoire sous le statut de sage-femme associée, un statut qui n’existe pas dans les faits.

«Depuis que j’ai eu le concours en 2012, j’ai postulé dans les hôpitaux et je n’ai eu que des refus. Ils me disent qu’ils n’ont pas de budget, pas de poste sur le statut demandé», explique Wahida. A 38 ans et après avoir travaillé dix ans en Algérie, elle attend depuis un an de trouver un poste de sage-femme associée en France. Wahida sort tout juste d’un rendez-vous au ministère de la Santé, où elle a exposé sa situation avec d’autres sages-femmes. «On a demandé au ministère de débloquer des budgets et de réduire l’année probatoire à six mois.»

Pas si sûr que cela change la donne, mais elle a bon espoir. «Historiquement, la loi qui a créé le statut d’associé s’appliquait aux médecins, aux pharmaciens et aux chirurgiens-dentistes, mais jamais aux sages-femmes», explique Madjid Si Hocine. A choisir, les hôpitaux préfèrent embaucher une sage-femme diplômée en France qui est inscrite à l’Ordre des médecins, plutôt que de prendre une sage-femme en période probatoire.

«Depuis 2009, sur 55 lauréates seulement 6 ont pu faire leur année probatoire», s’insurge Wahida. Elle a envisagé un temps de faire autre chose, puis elle a monté un groupe et entend défendre leur position. «Le fait que je sois là aujourd’hui, au ministère de la Santé pour défendre mon métier, je le raconterai un jour à ma fille, confie-t-elle. C’est quelque chose dont je suis fière !»