Mondialisation et résistances sociales au Maghreb

Mohamed Tahar Bensaada, Oumma.com, 14 janvier 2011

Les émeutes sociales qui font la une de l’actualité maghrébine en Tunisie et en Algérie révèlent au grand jour le grand décalage entre les attentes populaires en matière de politique sociale d’une part et les modèles de développement économique imposés par les pouvoirs en place dans la région de l’autre. Si le mode d’insertion à l’économie internationale reste marqué essentiellement par la dépendance des bourgeoisies locales à l’égard du centre du capitalisme mondial, les formes varient d’un pays à l’autre et posent des problèmes structurels différents par-delà la similitude des conséquences sociales vécues par les populations défavorisées.

La crise du modèle tunisien

Le fait que les émeutes aient commencé en Tunisie est à lui seul instructif. Il ne s’agit pas de n’importe quel modèle de développement dans la région. Il s’agit du « meilleur » modèle si on s’en tient aux critères des institutions économiques et financières qui régentent le capitalisme mondial. Sous la protection d’un Etat policier particulièrement répressif, le pays s’est taillé une part non négligeable dans la division régionale et internationale du travail. Des salaires relativement bas assurent un véritable dopage social et encouragent l’investissement direct étranger.

Le développement d’une industrie locale de substitution aux importations (ISI), grâce aux facilités administratives d’un Etat devenu entremetteur au service du capital étranger, assure l’enrichissement d’une bourgeoisie « nationale » sous-traitante au service des multinationales et la consolidation d’une bureaucratie civile et policière corrompue qui constitue la base sociale du régime. Ces options économiques sont présentées dans un pays pauvre en matières premières comme le prix à payer pour assurer l’emploi et le développement d’un pays qui ne peut compter autrement que sur la manne touristique.

Mais la dépendance économique a son revers de la médaille. Dès le retournement de la conjoncture économique internationale de 2009, la Tunisie s’est trouvé piégée par un modèle artificiel avec toutes les conséquences néfastes sur l’emploi et le revenu intérieur. Jusqu’ici, les émeutes et les manifestations populaires pointent du doigt les conséquences sociales d’un modèle de développement (chômage des jeunes, cherté de la vie, absence d’infrastructures et de projets économiques dans les régions du centre et de l’ouest du pays…) mais tôt ou tard, le mouvement social sera appelé à remettre en question un modèle fondé sur la dépendance et le développement inégal. Cette remise en question ne saurait éluder plus longtemps la question de la mondialisation qui, contrairement aux discours dominants du FMI et de la Banque mondiale, n’a fait qu’engendrer plus de dépendance et de sous-développement sans les effets d’entraînement technologique supposés.

Mais dans un pays politiquement verrouillé, les perspectives à court terme ne sont pas des plus optimistes : à l’ombre de l’autoritarisme musclé du régime, les forces qui surfent sur la vague du populisme religieux attendent leur heure. L’empire américain ne saurait rester indifférent aux évolutions d’une région en contact direct avec le Moyen Orient. Par-delà les discours idéologiques servis ici et là, les enjeux géopolitiques primeront sur tout le reste. Peu importe la couleur idéologique du changement escompté, pourvu qu’elle assure la stabilité et la pérennité des intérêts de l’empire dans la région. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la dernière réaction américaine en date, à savoir la convocation de l’ambassadeur tunisien par le Département d’Etat pour lui signifier les préoccupations de Washington quant à l’exigence du « respect des libertés individuelles » et à l’accès au Net.

Paradoxalement, la crise du modèle tunisien est apparue au grand jour au moment où fortes de la caution intéressée des institutions économiques et financières internationales, des voix libérales pseudo-modernistes en Algérie n’hésitent pas à chanter les bienfaits du modèle tunisien. On connaît la chanson : un pays sans pétrole ni gaz qui réussit des performances économiques enviables et qui commence de ce fait à attirer les investissements d’entrepreneurs algériens fuyant la « bureaucratie » et des touristes algériens cherchant le « farniente » à moindre prix !

La crise du modèle algérien

Si en apparence, les mêmes causes produisent les mêmes effets, les émeutes sociales qui ont éclaté en Algérie révèlent néanmoins des enjeux sociaux et politiques plus complexes. Comme en Tunisie, les émeutes sociales sont un révélateur politique sérieux : en l’absence de canaux sociaux et institutionnels démocratiques, il ne reste que la rue comme mode d’expression de la révolte sociale. On peut déplorer les violences et les atteintes aux biens et aux personnes mais la responsabilité première incombe au gouvernement qui a fait des autres canaux politiques et syndicaux des chambres d’enregistrement et d’exécution des demandes du pouvoir et les a ainsi transformés en coquilles vides sans crédibilité ni influence sur la population.

Comme en Tunisie, il s’agit de la faillite d’un modèle de développement basé sur la dépendance même si elle a prend dans ce dernier cas une autre forme. Une économie qui s’est spécialisée dans la mono-production et la mono-exportation des hydrocarbures pour officiellement répondre aux exigences de l’accumulation primitive qui nécessite d’énormes capitaux. Mais ce modèle qui date maintenant de plus de quarante ans n’a pas donné les résultats escomptés. Non seulement, la dépendance à l’égard des hydrocarbures n’a pas assuré les bases d’un développement agricole et industriel indépendant mais elle a aggravé le cercle vicieux de la dépendance à l’égard du marché mondial dominé par les multinationales : le pays importe jusqu’à 70% de son alimentation et la part de l’industrie nationale dans le PIB est descendue à …5% !

Bien entendu, ce serait succomber à une schématisation outrancière que de réduire la nature de classes du régime algérien à celle des régimes tunisien et marocain. Dans les deux derniers cas, nous avons affaire à des régimes autoritaires et compradores qui sont directement liés aux centres du capitalisme mondial comme l’illustre leur alignement géopolitique systématique sur les projets américains dans la région, leur armement exclusivement d’origine occidentale et surtout leur intimité organique avec les lobbies israéliens qui font chez eux le beau temps et la pluie. Dans le cas de l’Algérie, pour des raisons historiques liées au processus de décolonisation du pays, l’insertion dépendante à l’économie internationale, qui a obéi et continue d’obéir aux fluctuations des rapports de forces internes et externes, apparaît sous un jour plus contradictoire.

Par définition, la bourgeoisie bureaucratique qui a toujours été hégémonique dans le bloc social au pouvoir n’est pas homogène. En son sein, il existe des fractions qui aspirent à un développement économique national auto-centré et des fractions alliées à la bourgeoisie compradore spécialisée dans l’importation des produits finis et qui n’a aucun intérêt à voir une industrie nationale se substituer aux importations des biens et des services. Au gré des rapports de forces fluctuants, les luttes d’intérêts se reflètent dans des politiques économiques et sociales divergentes.

C’est ainsi que les fractions de la bourgeoisie compradore s’opposent par tous les moyens à toute politique économique visant à freiner ou à diminuer les importations en vue de les remplacer par une production locale. Pour ne retenir que quelques chiffres révélateurs de l’année 2009 : les valeurs des importations algériennes ont atteint 40 milliards de dollars ! La valeur des seules importations alimentaires a dépassé les 8 milliards de dollars ! La valeur des importations de médicaments a dépassé quant à elle les 2 milliards de dollars ! Derrière chaque fraction de la bourgeoisie compradore spécialisée dans tel ou tel créneau d’importation, il y une multinationale, un Etat impérialiste et bien entendu un grand bureaucrate et/ou un général algérien ! D’où l’interférence systématique des questions économiques et des questions politiques et l’interférence non moins systématiques des questions intérieures et des questions extérieures à caractère géopolitique ou diplomatique.

Pour des raisons propres à chacune des fractions de la bourgeoisie algérienne et de leurs alliés naturels au pouvoir, la paix sociale reste un dénominateur commun. Aucune fraction ne peut continuer à vaquer à ses affaires sans un minimum de paix sociale et de stabilité assurées par le rouleau compresseur d’un Etat militaro-policier. Les dépenses sociales annuelles de l’Etat algérien sont estimées à 12 milliards de dollars. Dans ces dépenses, il faut compter notamment le soutien de l’Etat aux prix des produits de large consommation (farine, lait, huile) qui sont revendus sur le marché intérieur à des prix inférieurs à ceux du marché mondial.

Si le soutien aux prix des produits de première nécessité apparaît comme la contrepartie financière pour s’assurer une paix sociale indispensable à la pérennité du système, il n’en demeure pas moins que cette politique, en apparence sociale, fait directement le jeu de la bourgeoisie compradore qui contrôle les circuits de l’importation et de la distribution des biens alimentaires et ce, depuis le démantèlement des monopoles publics à la faveur de la politique de privatisation imposée au pays par les institutions financières internationales au pays depuis la crise de la fin des années 80. Cette politique de dérégulation anarchique s’est aggravée au milieu des années 90 quand les seigneurs de la guerre ont profité d’une crise particulièrement sanglante pour dépecer le pays et se partager ses morceaux en toute impunité pendant que la majorité des Algériens cherchaient tout simplement à sauver leur peau…

Manne pétrolière et rivalités entre fractions bourgeoises

La flambée des prix du pétrole depuis 2006 allait constituer une aubaine pour de larges secteurs de la bourgeoisie compradore. Les autorisations d’importation allaient exploser en quantité et en valeur assurant un matelas financier propice à toutes les manœuvres économiques et politiques. Mais cette nouvelle donne n’est pas sans générer des tendances contradictoires. Si elle a bénéficié aux importateurs de biens et de services, l’augmentation de la manne pétrolière a aussi contribué à consolider des fractions de la bourgeoisie d’entreprise dans les secteurs du BTP et de l’industrie non sans alimenter au passage les circuits de la corruption au profit de la bourgeoisie bureaucratique qui détient les leviers de l’autorisation administrative des projets d’investissement.

Mais chose moins visible, l’augmentation de la manne pétrolière a fini par renforcer le statut des jeunes officiers appartenant à la génération de l’indépendance et formés dans des académies modernes tant en Algérie qu’à l’étranger et ce, à la faveur de la mise en œuvre d’un programme de professionnalisation et de modernisation de l’armée. Ces jeunes officiers, convaincus de leur rôle éminent dans le sauvetage de la république lors de la décennie rouge, regardent avec envie et mépris l’enrichissement des analphabètes de l’import-import et n’hésitent plus à pointer du doigt la corruption de certains de leurs supérieurs incompétents et leur alliance contre-nature avec les barons de l’économie informelle. De ce fait, ils joignent ainsi leurs voix à celles des secteurs de la bourgeoisie technocratique et industrielle et des classes moyennes qui se verraient mieux loties dans un système fondé sur l’intelligence et le travail.

La réussite d’un capitaine d’industrie comme Issad Rebrab, même s’il n’aurait sans doute jamais atteint une telle réussite sans le coup de pouce de quelques généraux amis qui lui ont permis de bénéficier d’un prêt avantageux de la Banque mondiale au milieu des années 90, est regardée comme un modèle à suivre : on peut réussir et faire fortune en produisant localement, en créant de la valeur et de l’emploi et en comptant sur la matière grise algérienne. Une bourgeoisie nationale basée sur l’industrie ne serait plus aussi utopique que certains voudraient le présenter.. Si la dépendance à l’égard des multinationales n’est pas supprimée du jour au lendemain, du moins elle pourrait être atténuée et limitée à certaines matières premières ou à certaines technologies difficiles à maîtriser à court terme. Même s’il ne faut pas oublier les enjeux économiques et de pouvoir qui se cachent derrière ces luttes entre fractions bourgeoises rivales, il est important de les situer par rapport à l’enjeu capital qui reste celui du mode d’insertion dans l’économie internationale. Vues sous l’angle de la mondialisation, ces luttes acquièrent une importance considérable dans la mesure où de l’issue de ces dernières dépend en grande partie la nature des rapports que le pays pourrait avoir avec le système mondial. C’est pourquoi, l’issue de ces luttes ne saurait laisser indifférent le mouvement social.

Le populisme au secours de la bourgeoisie compradore

Les émeutes sociales qui ont éclaté ces derniers jours en Algérie s’inscrivent dans ce contexte particulièrement complexe. Les tentatives maladroites du gouvernement d’assainir les circuits commerciaux de distribution, si elles ne pouvaient que satisfaire les secteurs de la bourgeoisie nationale, n’allaient pas laisser les barons de la bourgeoisie compradore les bras croisés. Seuls les imbéciles qui gouvernent actuellement l’Algérie pouvaient croire que cette réforme allait passer naturellement.

A moins que la grossière maladresse du gouvernement n’ait finalement été qu’une manœuvre souterraine pour donner le signal d’alarme aux alliés économiques et matrimoniaux qui contrôlent le commerce de gros. De quoi s’agit-il exactement ? Le gouvernement a pris une mesure draconienne en vue d’assainir le commerce de gros : plus d’opérations commerciales sans documents officiels (registre de commerce) et plus d’opérations commerciales supérieures à 500 000 DA ( 5000 euro) en cash. Pour ce genre d’opérations, seuls les chèques seront désormais autorisés à partir de mars 2011. Comment ont réagi les barons du commerce de gros ? Avant même l’entrée en vigueur de la mesure gouvernementale, ils ont inclus la TVA et une autre taxe locale (au total 20%) sur leur prix de vente aux commerçants. Si on ajoute à cela les manœuvres de rétention des biens de première nécessité comme la farine, on comprend aisément la flambée des prix et les émeutes qui s’en ont suivi.

Soucieux de sauvegarder la paix sociale à tout prix (même au prix de la compromission de l’avenir de la société à moyen terme) le gouvernement algérien a reculé et a décidé de suspendre les mesures en question. Ferme et intraitable quand il s’agit de réprimer les manifestations pacifiques des travailleurs de l’industrie, de la santé et de l’éducation, le gouvernement n’a pas trouvé mieux que de capituler devant une bourgeoisie parasitaire formée pour partie de délinquants économiques qui refusent d’opérer avec des factures, de payer la TVA et les impôts. Comment assurer les services à la collectivité sans impôts ? C’est une question qui ne traverse même pas l’esprit de cette bourgeoisie vorace et archaïque.

Mais le plus grave, c’est que cette bourgeoisie continue d’avoir des relais d’influence au sein de l’Etat et de la société. Hier, elle a pu exiger et avoir la tête du principal représentant de la bourgeoisie nationale, l’ancien ministre de l’économie et des finances, le professeur Abdelatif Benachenhou. Ce dernier était partisan d’un programme de régulation des dépenses publiques à des fins de développement industriel et technologique pour barrer la route aux fractions de la bourgeoisie compradore et à leurs alliés au sein de l’Etat décidés à se jeter sur la manne pétrolière comme des affamés. Pire, en l’absence d’un véritable mouvement social organisé et conscient de la complexité des enjeux de la mondialisation et de ses effets dévastateurs sur la société, cette bourgeoisie compradore en vient à profiter des émeutes sociales qu’elle a réussi à instrumentaliser dans une stratégie conservatrice puisque le gouvernement a fini par accepter un sordide deal avec elle : tu surseois à l’augmentation des prix et en contrepartie je surseois aux mesures régulatrices et je ferme les yeux sur ton commerce informel, ainsi tu continueras à accroître ta fortune clandestine et je continuerai à avoir la paix sociale…Le blanchiment de l’argent sale (drogue, terrorisme, corruption) a encore de beaux jours devant lui…

A travers ce deal qui ne dit pas son nom, la perpétuation de l’alliance de la bourgeoisie bureaucratique et de la bourgeoisie compradore au détriment du développement du pays et de la société risque malheureusement de durer encore quelques années, tant que le prix du baril de pétrole continue à assurer au gouvernement les recettes indispensables pour porter à bout de bras le corps d’un système économique et politique en putréfaction avancée…Ce sombre tableau est d’autant plus appelé à perdurer que le niveau lamentable des élites politiques algériennes, au pouvoir comme dans l’opposition, ne laisse entrevoir à court terme aucune perspective de sortie du cercle vicieux de l’autoritarisme et du populisme qui se nourrissent mutuellement pour briser tout élan de changement véritable.

Trop d’intérêts s’opposent aujourd’hui à la mise en œuvre d’un programme de réformes visant, non pas une utopique déconnexion par rapport au système mondial, mais seulement la redéfinition d’une nouvelle insertion dans la division internationale du travail, plus à la hauteur de l’histoire du pays et de ses potentialités naturelles et humaines et plus respectueuse de son environnement et de ses habitants.

L’empire américain veille au grain. S’il ne saurait tolérer des changements radicaux dans une région aussi sensible, il n’a pas non plus intérêt à y voir s’installer le chaos, du moins pas pour le moment. La manne pétrolière peut servir à assurer à court terme un semblant d’équilibre et de stabilité. Les luttes de fractions continueront parce qu’elles se nourrissent des tendances profondes qui structurent l’économie et la société algériennes. La classe moyenne qui vit de son effort et de son travail, et qui commence à peine à relever la tête après deux décennies de dérégulation, de précarisation et de violences, a tout intérêt à s’organiser pour prendre part à ces luttes si elle veut faire pencher la balance au profit du travail et de l’intelligence car c’est seulement à cette condition que le système basé sur l’économie rentière, la paresse et la corruption pourra être dépassé et avec lui toutes les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la cohésion de la société et l’indépendance du pays.

Source : Oumma.com


LES GRANDS ENTRETIENS DU MAGHREB

HOCINE MALTI

 

Entretien réalisé par Madjid Larib.

Repères Biographiques : Spécialiste des questions pétrolières internationales, Hocine MALTI est ingénieur des pétroles, l’un des pionniers qui ont créé la compagnie nationale algérienne des pétroles Sonatrach, dont il a été vice président. Conseiller technique du secrétaire général de l’Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole (OPAEP), il a été nommé par le conseil des ministres de l’organisation, directeur général de l’Arab Petroleum Services Company (APSC), une holding multinationale. Hocine MALTI est aujourd’hui consultant pétrolier.

Le Maghrébin : Monsieur Hocine Malti, vous publiez régulièrement des articles et des contributions sur l’Algérie et les questions liées aux hydrocarbures ; qu’est ce qui vous fait réagir ? Qu’est-ce qui vous motive pour réagir à l’actualité économique mais plus largement à l’actualité politique dans sa dimension énergétique ? Pourquoi avez vous créé de fait ce débat et pourquoi l’avez vous suscité ?

Hocine Malti : Vaste sujet… (Rires) Parce que l’industrie pétrolière algérienne est, à mon avis, en danger depuis l’arrivée de Bouteflika au pouvoir. Il y a eu un changement ces derniers temps, mais sinon pendant des années, il avait tout cédé aux américains. S’il n y avait pas eu sa maladie – on en parlera peut-être plus tard – c’était fini, l’industrie pétrolière était entre les mains des américains. Ce sont eux qui auraient tout contrôlé et cela, personnellement, je ne pouvais l’accepter. Je considère que c’est plus que de la trahison, c’est un véritable abandon de souveraineté. C’est tout simplement céder le pays, puisque le pétrole est la source de vie de tout un peuple. Donc personnellement, je ne pouvais me taire. La première fois que je suis intervenu publiquement c’était au moment de l’avant-projet de loi sur les hydrocarbures en 2002. J’avais réagi à ce moment là en publiant des articles sur le sujet. J’avais bien compris, en 2003, que le gel de la loi n’était que purement tactique pour passer le cap de la réélection de 2004. Et puis ensuite, lorsque Bouteflika a remis la chose à l’ordre du jour et a fait approuver la loi, cela m’a personnellement révolté. Mais actuellement, il me semble qu’il a fait marche arrière jusqu’à un point de non retour et j’ai bien noté cela.

Le Maghrébin : Vous avez été un des fondateurs de la SONATRACH, c’est certainement cela qui vous a conduit à suivre de près l’évolution de cette entreprise et c’est peut-être avec chagrin que vous voyez se défaire ce qui a été péniblement construit au lendemain de l’indépendance ?

Hocine Malti : C’est mon métier de pétrolier d’une part, et d’autre part effectivement, j’étais parmi les premiers ingénieurs et cadres supérieurs de la SONATRACH. Donc, j’ai vu ce bébé grandir pendant une quinzaine d’années avant de le quitter. Evidement, cela me touche. Voir tout ce qui se passe en Algérie, que les choses ont complètement dévié du cours normal, de l’évolution normale, au point de revenir à la situation néocoloniale qui prévalait dans les années soixante, du temps du régime des concessions. Alors même que tous les autres pays producteurs expriment de plus en plus fort leur volonté de protéger leurs ressources nationales. On voit ainsi le Vénézuélien Hugo Chavez et le Bolivien Evo Morales mettre à l’ordre du jour ce que nous avons fait an Algérie durant les années soixante-dix. Entre temps, on constate chez nous une dérive ultralibérale incontrôlée dénuée de toute vision et qui ne mène nulle part, si ce n’est à la perte de souveraineté et au transfert de propriété de nos ressources stratégiques.

Le Maghrébin : Et vous avez constaté ça effectivement avec l’arrivée de Bouteflika mais aussi de Chakib Khelil ?

Hocine Malti : Dans cette affaire, ils sont plusieurs acteurs mais la décision ultime c’est malgré tout Bouteflika qui la signe et qui l’assume. Mais celui qui suggère, qui propose toutes les décisions, c’est bien Chakib Khelil et Chakib Khelil n’est qu’un pion dans le dispositif des Etats-Unis. Il faut dire les choses telles qu’elles sont : de mon point de vue, ce ministre est un agent des américains placé au cœur du pouvoir algérien. C’est comme s’il avait été envoyé en mission, en Algérie, pour faire un travail et le conduire à son terme. On parlera peut-être après du volet militaire, mais au plan civil, c’est comme cela que les choses se passent.

Le Maghrébin : Vous dites que Bouteflika est revenu sur sa décision initiale, que la dynamique de préservation des ressources difficilement réversible. Mais est-ce que pour autant le danger est passé et ne risque-t-on pas de revenir à la situation antérieure ?

Hocine Malti : Tant que Bouteflika sera au pouvoir, il me semble que c’est fini, qu’il ne pourra plus revenir là-dessus. La manière dont personnellement j’interprète les événements, c’est que sa maladie a eu un retentissement très important sur son comportement, sur son attitude. On a l’impression que le fait qu’il ait été confronté à la mort, l’a fait revenir à des réalités beaucoup plus concrètes ; on a l’impression qu’une fois que sa maladie a été découverte, il s’est dit qu’après tout le pouvoir n’est rien, c’est éphémère, il ne parle plus de révision de la constitution, qui lui aurait permis de faire un troisième mandat. Ainsi que la désignation d’un vice-président qui aurait joué vis-à-vis de lui, le rôle qu’il a lui-même joué vis-à-vis des militaires, c’est à dire le couvrir contre toute tentative malveillante. Il y a, à mon avis, toute une série de choses qui dénotent que conserver le pouvoir coûte que coûte ne l’intéresse plus. Et a partir de la, je pense que du coté du DRS, puisque ce sont eux les faiseurs de rois et de lois, ils n’ont plus sur lui l’emprise qu’ils avaient par le passé. Auparavant, ils exerçaient un chantage sur lui (« Tu fais ce qu’on te demande ou on te dégomme. Si tu veux refaire un mandat, il faut faire la charte. etc. ») J’ai l’impression qu’actuellement, ils n’ont plus ce levier de pressions sur lui. A partir du moment où il s’est libéré lui-même de cette emprise, il s’est dit maintenant, je vais faire plus au moins ce que je veux.

Le Maghrébin : Vous attribuez ce revirement d’attitude uniquement à la maladie, ou existerait-il d’autres influences, d’autres éléments politiques à l’intérieur du régime et à l’extérieur du pays, des forces qui se sont rapprochées de lui pour lui demander de revoir un peu sa copie ?

Hocine Malti : Je pense que l’élément déclencheur reste la maladie. Il est certain que d’autres facteurs sont intervenus. Il y a le fait que les américains qui, visiblement, étaient très informés de sa maladie et de certains faits politiques, se sont dit qu’il était fini et qu’en attendant son remplacement, la meilleure approche était de traiter avec les chefs du DRS, qui eux sont toujours là ; ils sont permanents. Il y a donc eu cette attitude négative des américains à son égard. Il y a eu aussi des interventions de pays amis, l’intervention de Chavez qui était venu le voir et lui dire de faire attention aux conséquences, aux répercussions, de la loi sur les hydrocarbures. En effet, cette loi porte préjudice non seulement à l’Algérie mais elle nuit aussi aux intérêts de l’ensemble des pays de l’OPEP. A partir du moment où une brèche est ouverte quelque part, d’autres pays risquent de suivre ; peut être même que certains parmi les membres de l’OPEP n’attendent que cela, qu’un précédent soit créé, qu’un pays cède pour le suivre. Comme un effet de dominos en quelque sorte. Il y a eu également ses amis des Emirats qui auraient attiré son attention sur le fait que la loi sur les hydrocarbures, dans son volet sur les impôts, était défavorable à l’Algérie. Ce serait suite à leur intervention qu’il aurait pris la décision d’imposer à 100% la tranche au-delà de 30 dollars, de tous les contrats dont le prix de vente est supérieur à 30 dollars le baril. C’est quand il a compris qu’il allait quitter le pouvoir, d’une manière ou d’une autre, soit parce que la volonté divine l’aura voulu, soit faute d’être reconduit à la fin de son mandat, quand il a donc compris que dans tous les cas de figures, à un moment ou un autre, il s’en ira, alors il s’est mis à faire en sorte que ses associés-rivaux du pouvoir réel n’en profitent pas.

C’est donc comme en guise de représailles, comme si Bouteflika voulait se venger des américains suite à leur attitude et pour contrecarrer aussi des militaires, des généraux, qu’il a pris une série de mesures de blocage.

Bouteflika, on l’a vu, a tout fait pour faire échouer le fameux traité d’amitié avec la France. Il avait d’abord commencé à hausser le ton vis-à-vis de la France, ce qu’il ne faisait auparavant. Il avait découvert, avec un certain retard, l’existence de la loi du 23 février 2005, puis avait commencé à parler de génocide avant de se mettre à exiger des excuses officielles, à la veille d’une élection présidentielle en France ! Visiblement il savait que Jacques Chirac ne pourrait pas satisfaire cette exigence. C’était à mon avis un sabotage délibéré du traité d’amitié. Car il faut bien comprendre qu’un traité d’amitié avec la France, pays des droits de l’homme, aurait naturellement servi de certificat de bonne conduite pour les généraux algériens, ce que lui ne voulait plus leur concéder.

Vis-à-vis des américains, il est revenu sur la loi sur les hydrocarbures comme il a déclenché l’enquête sur l’affaire BRC. Il était au fait bien avant de tout ce qui se passait au sein de BRC. Il était parfaitement informé de cette histoire de mallettes de commandement, des surfacturations… Son frère Abdelghani était l’avocat conseil de BRC – il a d’ailleurs profité lui aussi de cette manne – il ne pouvait donc pas ignorer toutes ces choses là.

Dans la série de mesures prises contre les américains, en dehors du secteur des hydrocarbures, il y a celles qui concernent le domaine sécuritaire. Il y a eu, comme tout le monde le sait, cette histoire de base militaire dans le grand sud et celle qui concerne le nouveau commandement américain pour l’Afrique, l’Africom. Il a fait arrêter la construction par Halliburton d’une base de l’armée américaine à Tamanrasset. Au sujet de l’Africom, il y a eu la non participation déguisée de l’Algérie à la réunion de Dakar, l’année dernière. Ce n’est pas le général Gaid Salah, chef d’état major qui y avait participé ; c’est un officier de moindre envergure qui a été délégué à cette rencontre qui a regroupé les chefs d’Etat-major des pays membres de la TSCTI, dont celui de l’armée américaine. Bouteflika a fait dernièrement une déclaration dont laquelle il a carrément signifié l’inutilité de l’Africom, en soutenant que les problèmes sécuritaires du continent devaient être réglés par une force de l’Union Africaine. Il a donc remis en cause l’idée même du commandement spécial pour l’Afrique et tout cela a des répercussions et des conséquences. Il a fait, selon moi, tout cela pour punir les américains et mais aussi les généraux. Il a voulu enlever à ces derniers toutes les couvertures qu’ils avaient, que ce soit du côté français ou du côté américain.

Le Maghrébin : Qu’est ce que l’affaire BRC ? Comment a-t-elle commencé ? Quelle est la genèse de cette société mixte entre la SONATRACH et Brown & Root Condor elle même filiale de Halliburton, à l’époque dirigée par Dick Cheney, l’actuel vice-président des Etats-Unis?

Hocine Malti : Brown & Root Condor, BRC, a été crée en 1994. A l’origine c’était, comme son objet l’indique une société d’engineering et de construction, crée en association avec une société de renommée mondiale Kellog Brown & Root (elle-même filiale de Halliburton). Cette société n’a jamais pris réellement son envol, elle a toujours été délibérément maintenue par les américains, à un faible niveau de compétences. BRC n’est pas capable de mener par elle-même un chantier de construction, ni même de concevoir une unité industrielle importante. Donc, elle n’a jamais été autre chose qu’une courroie de transmission vers la société-mère Kellog Brown & Root. Halliburton est connue, ce n’est pas seulement la société dirigée par Dick Cheney, mais c’est d’abord une entreprise qui travaille pour le compte de l’armée américaine. C’est Halliburton qui a construit nombre de bases militaires américaines à l’étranger. C’est cette entreprise qui a réalisé la plus grande base américaine en dehors des Etats-Unis, celle du Kosovo. En Irak, c’est Halliburton, omniprésent, qui fait tout. C’est donc une source de revenus importants sur les plans pétrolier et militaire. Et comme cette société intervient dans des secteurs stratégiques tels que l’industrie pétrolière et la défense, elle a automatiquement connaissance de tout ce qui se passe dans les pays où elle intervient. C’est comme cela que BRC est devenue, non seulement une source d’enrichissement pour les américains, mais en même temps une source de renseignement et de collecte d’informations sur l’industrie pétrolière algérienne. Depuis l’arrivée de Bouteflika au pouvoir et surtout depuis la nomination de Chakib Khelil à l’énergie, cette société a pratiquement changé de statut. Elle est devenue le représentant quasi officiel du lobby texan da la Maison-Blanche en Algérie. Et puis derrière, il y a la CIA, les services de renseignements américains qui exploitent ce filon. Elle est la seule société au sujet de laquelle Chakib Khelil avait lui-même déclaré, lorsque l’enquête a été déclenchée, « c’est une société de statut algérien qui bénéficie donc d’un traitement de faveur par rapport aux autres ; elle est systématiquement retenue même quand elle est plus chère de 15% que le moins disant ». Pour certains généraux, c’était également une source d’enrichissement grâce aux grosses commissions qu’ils percevaient sur tous les contrats passés entre BRC et la Sonatrach, ses filiales ou certains ministères, dont celui de la défense. Pour s’enrichir, ils ont fermé les yeux sur un tas de manoeuvres illégales ; c’est comme cela que l’on est arrivé jusqu’à la compromission extrême avec les américains dans cette histoire de mallettes de commandement, des équipements ultra sophistiqués de communication et de transmissions militaires.

Le Maghrébin : Comment une société d’engineering pétrolier se retrouve-t-elle en position d’acheter des systèmes de télécommunication pour le compte de l’armée algérienne ?

Hocine Malti : Parce que BRC a ses propres parrains, ses propres sponsors. Dans le domaine pétrolier, il n y a pas de miracles, on ne peut réussir en Algérie, dans ce secteur en particulier, que si on est soutenu par des militaires de haut rang.
Après les surfacturations dont a profité la société mère de BRC ainsi que ses sponsors algériens, ceux-ci sont passés à l’étage au dessus. S’il n y a pas de business dans le domaine pétrolier, pourquoi ne pas lui donner la construction de l’hôpital d’Oran ? Alors qu’il est notoire que ce n’est pas son domaine. C’est une société spécialisée dans la réalisation d’infrastructures pétrolières, par conséquent elle n’a pas à construire ni un hôpital, ni le siège de la DGSN et encore moins à fournir du matériel militaire.

Je suis convaincu que Bouteflika ne pouvait pas ignorer ce qui se passait à l’intérieur de cette société. S’il a déclenché une enquête, il y a de cela à peu près une année, c’est parce qu’il a voulu dévoiler au grand jour certaines choses, que ces choses soient rendues publiques, pour entraver l’action des deux partenaires, les américains d’un côté et les généraux du DRS de l’autre. C’est un scandale tellement énorme qu’il est impossible à étouffer. Comme à l’habitude en Algérie, encore une fois, lorsque les choses en arrivent à ce point, il faut bien sacrifier quelqu’un. Un fusible doit sauter quelque part ; cette personne est toute désignée, c’est le directeur général qu’on accuse d’intelligence avec l’étranger. Quelle « intelligence » peut-il avoir eu avec l’étranger dans cette affaire de mallettes, lui qui était chargé de gérer une société pétrolière ? Cette « intelligence » est ailleurs, ce n’est pas lui qui a ordonné l’achat de ces mallettes de commandement, la commande vient de l’armée, c’est probablement un très haut gradé de l’armée qui lui a donné instruction de passer commande.

Le Maghrébin : Pour ce qui est justement de ces mallettes de commandement, il se dit que ce sont les Russes qui ont informés les militaires algériens qu’elles étaient reliées aux écoutes de la CIA. N’est-il pas vraiment inquiétant de voir que ceux qui ont la charge de protéger notre pays être incompétents au point de ne pas savoir que les mallettes en cause étaient connectées aux systèmes d’espionnage américains ? Où bien ils le savaient mais ils ont laissé passer cela ?

Hocine Malti : Je ne pense pas qu’ils soient nuls à ce point là. Toute personne qui a un tout petit peu de bon sens, sait qu’à partir du moment où on achète du matériel aussi sensible aux USA, les américains ne peuvent pas ne pas être tentés de mettre une petite puce quelque part. (Rires). Ceux qui ont commandé ces mallettes le savaient ; je suis convaincu qu’ils savaient pertinemment ce qu’elles contenaient, mais ils ont fermé les yeux.

Le Maghrébin : La Gazette du Maroc semble être bien informée il y a eu un article le 14 septembre dernier qui soulignait que le président de la société pétrolière d’Anadarko avait exprimé, dans des circonstances qu’on ne connaît pas, son irritation à l’endroit des généraux algériens, aurait même menacé de plier bagages. Pourquoi cette sortie du président d’Anadarko ?

Hocine Malti : Je doute de la réalité de cette déclaration ! A moins qu’elle ne soit tronquée ou déformée. Elle a cependant le mérite de confirmer ce qui se dit dans le milieu pétrolier, à savoir qu’ANADARKO est parrainée par le DRS ; donc les choses ne peuvent que bien marcher pour elle. Et si vraiment son directeur général accuse les généraux, cela veut dire qu’il considère qu’ils n’ont pas suffisamment défendu son entreprise, qu’ils perçoivent une dîme pour rien. C’est grâce à eux que la société prospère. Quant à la menace de plier bagages, je ne pense pas qu’ANADARKO quitterait l’Algérie, car elle y a investi des milliards de dollars et y conduit des opérations extrêmement juteuses, mais c’est une manière de mettre encore plus de pression sur les « sponsors » et donc d’attiser encore plus la rivalité Bouteflika – DRS.

Le Maghrébin : Vous dites que suite à sa maladie, Bouteflika s’est libéré de l’emprise des généraux. Pourquoi ne va-t-il pas plus loin avec le DRS ? En changeant les têtes…

Hocine Malti : On peut, évidemment, se poser cette question. Mais a-t-il les moyens de le faire ? Sur le plan théorique, il est le président de la République, c’est lui qui nomme et démet tous les hauts fonctionnaires. Officiellement, il est le ministre de la défense, chef des armées, donc il peut prendre la décision de mettre fin aux fonctions du chef du DRS. Mais peut-il le faire réellement ? Peut-il publier le décret ? En supposant qu’il réussisse, a-t-il les moyens d’aller plus loin si l’autre refuse d’exécuter ? Il ne peut pas, à mon avis, les affronter et encore moins les réduire mais par contre il peut les bloquer.

Le Maghrébin : Donc aujourd’hui, l’avenir des ressources algériennes est tributaire, finalement, des états d’âme d’un chef d’Etat impotent dont les capacités sont réduites, et du bon vouloir « diplomatique » des chefs du DRS à la recherche d’appuis extérieurs ?

Hocine Malti : Exactement ! D’après les informations dont je dispose sur ce qui se passe dans le milieu pétrolier algérien, les patrons des sociétés américaines qui travaillent en Algérie et le lobby pétrolier américain d’une manière générale, n’ont pas perdu l’espoir – et ils font tout pour – que Chakib Khelil fasse passer la loi sur les hydrocarbures. Ceci dit, je ne pense pas que les américains réussiront dans cette entreprise tant que Bouteflika sera là.

Le Maghrébin : Sur un plan plus géostratégique, on voit qu’il y a un fort intérêt américain pour l’Algérie ! D’ailleurs dans quelques semaines il y aura à Houston une réunion organisée sur la sécurité et l’énergie en Afrique du nord. Bien entendu le pays de l’Afrique du nord le plus concerné est l’Algérie. Visiblement à travers ce séminaire, l’on perçoit un certain nombre de signes, avec ce qui ce passe à nos frontières sud, avec ce qui se passe en terme de mouvement militaire, de subversion dans la zone Sahélo–Saharienne… Et d’un conflit possible avec l’Iran ?

Hocine Malti : Bien sur. A l’origine même de la PSI (Pan-Sahel Initiative), de la TSCTI (Trans-Saharian Counter Terrorism Initiative) ou de l’installation d’une base américaine dans le sud algérien, se trouvent la protection des intérêts pétroliers américains dans la région, mais aussi l’idée de prendre les dispositions nécessaires en vue d’un conflit éventuel au Moyen-Orient. Cette base qu’ils ont voulu installer dans le Sahara aurait servi justement d’escale, de point d’appui pour des actions militaires dans la région du Golfe.

Le Maghrébin : Une question que se pose beaucoup de gens, comment vous voyez l’évolution des prix de pétrole dans une perspective à cours et moyen termes, dans les six à douze mois à venir ?

Hocine Malti : Ça ne peut qu’augmenter, c’est certain. On est très proche de la barre fatidique des 100 dollars. Il y a l’hiver qui arrive et il suffit d’une petite étincelle quelque part, au Nigeria par exemple, ou il arrive fréquemment que les populations locales mettent le feu à des installations pétrolières, pour que l’on atteigne et dépasse cette barrière. Des petits incidents de ce genre peuvent facilement faire grimper les prix. Il ne faut pas non plus oublier que la hausse des prix arrange beaucoup les compagnies américaines, autant si ce n’est plus que les pays de l’OPEP. Les Etats-Unis sont un pays consommateur mais c’est aussi un grand pays producteur. Les compagnies pétrolières américaines, les majors, sont directement intéressées par la vente du brut. Elles ont autant d’influence sur les prix que l’OPEP, si ce n’est plus. Plus les prix augmentent, plus cela les arrange.

Le Maghrébin : Mais si le prix du pétrole aujourd’hui à 90 dollars peut paraître énorme, en termes de pouvoir d’achat, il est inférieur à ce que coûtait le baril durant les années quatre-vingt, particulièrement lorsqu’on voit la détérioration du pouvoir d’achat dans notre pays qui est un importateur en euros. La question que d’aucuns soulèvent : Pourquoi les pays exportateurs ne libellent-ils pas leurs exportations en euros ?

Hocine Malti : Je ne connais pas toutes les implications d’une telle décision. Néanmoins, ce que l’on peut déjà dire, c’est qu’à la base les mentalités ont beaucoup changé. Cette décision, les pays de l’OPEP l’on prise en 1975, quand ils ont crée un panier de monnaies pour les transactions pétrolières. Il n’y avait pas que le dollar pour libeller le prix du baril. Mais depuis beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et l’OPEP n’est plus ce qu’elle était il y a vingt ou trente ans. Je vois difficilement les pays membres se mettre d’accord là dessus. Ça tire de tous les cotés, il y a des tensions, il y a des alliances…Mais il y a des pays qui font quelques transactions en euros comme l’Iran, mais se sont là des initiatives nationales.

Le Maghrébin : Quepense l’ingénieur : Est-ce que l’Algérie est un pays suffisamment exploré ?

Hocine Malti : L’Algérie est un pays largement inexploré. Il y a des zones immenses qui n’ont pas été concernées par la recherche. De toute la partie occidentale du Sahara, à part les gisements de gaz connus depuis les années cinquante dans la région d’In Salah, on ne sait pas grand-chose. Comme les premières découvertes faites dans cette zone c’était du gaz et que le gaz a longtemps été considéré comme le parent pauvre de l’industrie des hydrocarbures, on ne s’y est pas beaucoup intéressé. Les travaux de recherche sont extrêmement coûteux, donc il y a eu peu de recherche pétrolière. C’est un peu comme au casino : soit on trouve alors c’est le banco, soit on ne trouve pas et on y laisse sa peau.

Le Maghrébin : La région Sahélo–saharienne ne cesse d’attirer les grandes puissances de ce monde. Que cache réellement cette région pour qu’elle soit tant convoitée ?

Hocine Malti : Il existe de gigantesques réserves de pétrole dans cette région et tout autour. Le Nigeria représente 110 millions de tonnes de pétrole brut par an. Au nord, il y a l’Algérie et la Libye. La Libye produit aujourd’hui 70 à 75 millions de tonnes par an et elle peut passer facilement, dans le cas où elle ouvrirait toutes les vannes, à plus de 100 millions de tonnes de brut par an. Il y a le Tchad où de gros gisements de pétrole ont été découverts, c’est ce qui a d’ailleurs déclenché l’intérêt des américains pour toute la zone, surtout depuis la mise en exploitation du pipe-line qui transporte, entre le Tchad et le Cameroun, du pétrole purement américain, appartenant à Texaco et Exxon. Il y a la Mauritanie qui semble déceler de grosses réserves, il y a l’Angola…etc. Et les américains font tout cela pour préserver leurs intérêts. Le rapport qui a été établi par l’administration Bush montre que 30% de la consommation américaine était importée et que ce pourcentage allait augmenter à l’avenir. Pour garantir les ressources d’approvisionnement, l’Afrique est le continent le plus proche, où il est facile de s’installer. Et puis, il y a le phénomène chinois. Les chinois sont devenus de grands consommateurs d’énergie, ils se sont mis à la recherche de ressources pétrolières et ont commencé à s’installer un peu partout, en Afrique entre autres. Cela fait du pétrole en moins pour les USA, un pétrole qui va chez l’ennemi N° 1 de demain.

Le Maghrébin : Quel est le rôle de la France dans la région ? On voit de moins en moins Total, au Niger il semble qu’il y a de sérieux problèmes avec AREVA…A quoi est dû cet effacement de la France ?

Hocine Malti : C’est certain qu’il y a un recul de la France parce que de l’autre côté il y a un rouleau compresseur. Quand les américains se mettent en marche, il n’y a pas seulement l’aspect militaire qui est mis en branle, mais également l’aspect civil. Comme vous le savez, ils ont crée le MEPI (Middle East Partnership Initiative). C’est un grand programme pour acheter les organisations de la société civile dans tous les pays arabes. Dans le cas précis de l’Algérie, je pense que c’était un peu pour contrer l’offensive américaine que le président Jacques Chirac avait lancé l’idée de pacte d’amitié algéro-français.

Le Maghrébin : Monsieur Malti, nous arrivons bientôt au terme de cette interview. Nous souhaiterions que vous évoquiez pour nos lecteurs quelques questions d’importance qui ont agité récemment le landernau médiatique. D’abord, quelle est votre opinion sur l’éventuelle création d’une Opep du gaz ? Ensuite vous voudrez bien nous faire part de vos observations sur les relations de l’Algérie avec la France et l’Espagne au plan énergétique.

OPEP DU GAZ

La question de la création d’une OPEP du gaz est devenue d’actualité depuis un peu plus d’une année. Dans le courant de l’été 2006, un accord de coopération portant sur différents domaines de l’industrie pétrolière avait été passé entre la Sonatrach et le géant russe Gazprom. Craignant de subir une situation semblable à celle vécue par l’ensemble des pays européens au cours de l’hiver 2005, les Italiens ont été les premiers à voir dans cet accord les prémices de la création d’une OPEP du gaz. En décembre 2006, c’est l’ayatollah Khamenei qui le premier a formulé plus clairement l’idée au lendemain de la visite de Hugo Chavez en Iran.

La naissance d’une telle organisation n’est cependant pas pour demain, pour de très nombreuses raisons, dont celle de la politique de fixation des prix. Le prix du gaz est actuellement indexé sur celui du pétrole ; une OPEP du gaz voudrait très certainement mener sa propre politique de prix. Il y aurait donc conflit entre les gros producteurs de pétrole et les gros producteurs de gaz. L’OPEP est actuellement dominée par l’Arabie Saoudite, tandis qu’une organisation similaire pour le gaz serait elle dominée par la Russie. Il y a donc une question de leadership. Les conflits d’intérêts entre les « pétroliers » d’un côté et les « gaziers » de l’autre pourraient à la limite déboucher sur l’auto destruction des deux organisations, s’il n’y a pas d’harmonisation des objectifs, ce qui semble a priori très difficile à réaliser. Ceci n’est qu’un des aspects d’une question qui semble très attractive mais qui n’en mérite pas moins une réflexion très approfondie.

RELATIONS ENERGETIQUES ALGERO FRANCAISES

C’est une très vaste question qui mériterait à elle seule un débat aussi long que celui que nous venons d’avoir. Pour faire bref disons que ces relations sont comme le reste des relations entre l’Algérie et la France très passionnelles et empreintes de méfiance de part et d’autre.

CRISES CYCLIQUES ENTRE L’ALGERIE ET L’ESPAGNE

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que tant que l’affaire du Sahara occidental n’aura pas été réglée, il y aura de temps à autre une crise dans les relations politiques algéro–espagnoles. Dans le domaine pétrolier par contre, il n’y a jamais eu de contentieux entre les deux pays, en dehors de ces derniers mois où des affaires commerciales ont pris une teinte politique, en raison du parasitage créé par la prise de position du gouvernement espagnol sur l’affaire du Sahara, une position favorable à la thèse marocaine. L’autre raison qui se trouve à l’origine de cette crise est liée à la crainte qu’ont les pays européens, parmi eux l’Espagne, quant à leur approvisionnement en gaz de par une trop grande dépendance de la Russie et de l’Algérie dans ce domaine. C’est pourquoi le gouvernement espagnol avait refusé de donner une suite favorable à la demande algérienne de commercialiser directement du gaz en Espagne, par le biais de la Sonatrach. En représailles, les algériens ont décidé d’annuler un gros contrat, celui de la mise en valeur du champ de Gassi Touil, qui avait été attribué à une entreprise espagnole. L’ensemble du contentieux semble néanmoins être en voie de règlement.

Le Maghrébin : Merci beaucoup, Monsieur Malti, il vous appartient à présent, si vous le voulez bien, de conclure cet entretien.

Hocine Malti : Que dire en conclusion, si ce n’est que le pétrole est une ressource non renouvelable et donc déjà de ce fait extrêmement précieuse. Il est pour la quasi-totalité des pays producteurs l’unique source de revenus ; c’est donc l’existence même des populations de ces pays qui en dépend. Hélas, les dirigeants et en Algérie tout particulièrement, utilisent cette ressource d’abord et avant tout pour leur bénéfice personnel. C’est en monnayant leur pouvoir contre des commissions faramineuses perçues sur toute la chaîne de l’industrie pétrolière, depuis la recherche jusqu’à la mise sur le marché des produits pétroliers, qu’ils ont bâti des fortunes fabuleuses. Ils ont ainsi garanti leur avenir, leur bien être et ceux de plusieurs générations de leur descendance, alors même que l’algérien moyen a tout juste les moyens – quand il les a – de sa survivance. Ils utilisent aussi les richesses pétrolières du pays pour asseoir encore plus leur pouvoir. C’était le cas de Bouteflika quand il s’agissait, pour lui, de garantir sa réélection en 2004 ou de s’affirmer face aux généraux qui l’ont placé là où il est. C’était et c’est encore le cas des généraux algériens qui utilisent le pétrole aux mêmes fins.

Le pétrole est par ailleurs une matière stratégique. Sans pétrole, il n’y a pratiquement pas d’industrie, il n’y a pas de transport, ni de marchandises, ni de personnes ; il n’y a pas d’avions, ni civils, ni militaires ; pas de navires, ni navires de croisières, ni sous marins, ni porte avions, ni destroyers. Que serait la puissance américaine sans pétrole ? Peut-on même imaginer une telle situation ? Alors pour maintenir cette puissance, les Etats-Unis font la guerre, à la recherche de pétrole, en Irak, en Afghanistan ; ils déstabilisent des pays comme l’Ukraine ou la Géorgie ; ils viennent s’installer dans le Sahel, pour soi disant combattre Al Qaïda. Pour s’accaparer des richesses pétrolières d’autrui ils corrompent des dirigeants et asservissent des peuples. De la même manière que dans les siècles passés, il y a eu des guerres pour le sel, pour les épices ou pour la soie, il y a aujourd’hui des guerres pour le pétrole.



Allocution de Hocine Aït Ahmed au 8ème Congrès du Parti du Progrès et du Socialisme,
Bouznika (Maroc), 28 mai 2010

Chers camarades,

C’est pour moi un grand plaisir et un honneur de partager avec vous ces quelques moments de réflexion et de débat politique.

Je serai bref. L’inflation de discours dans un contexte maghrébin aux promesses fabuleuses mais aux réalisations bien maigres a grandement contribué à dénaturer, dans l¹écart qui se creuse entre le verbe et le geste, la vraie portée du politique.

Le militant politique n’est pas un faiseur de miracles. Ni un gladiateur des temps modernes. Il est, au mieux et quand les conditions de sa société le permettent, un citoyen conscient des enjeux du moment.

Je dis, quand les conditions de sa société le permettent, car pour un militant politique l’essentiel consiste à être ancré dans sa société sans pour autant se laisser enfermer dans les limites de cette dernière.

Or, en matière de conscience et de luttes politiques, des vies entières de militantisme se sont réduites à expliquer ce que militer veut dire.

Entre des archaïsmes, que l’adoption des nouvelles technologies croit pouvoir masquer judicieusement, et la loi d¹airain d’un monde sans pitié pour les faibles, militer pour un monde meilleur, ici et maintenant, passe par une douloureuse et constante explication.
Explication, sans cesse repoussée, par des pouvoirs politiques que leurs choix enchainent à des postures autoritaires puis répressives puis carrément hostiles à l’égard de sociétés qu¹ils ne cherchent même plus à comprendre.
Explication biaisée, au sein même de nos sociétés, où elle finit par se confondre avec la longue litanie de tout ce qu¹il faudrait changer autour de nous et qui oublie de commencer par ce qui doit changer en nous.

Nous connaissons nos maux : sous-développement politique, économique et culturel. Nous connaissons, ou croyons connaitre, la solution : Le développement, la démocratie, la transformation de nos murs politiquesŠ

Mais une vie entière de militantisme se résume souvent à chercher, chaque jour, le meilleur moyen de tisser des liens entre les mots et les gestes.

C’est en militant optimiste, quant aux possibilités que recèle notre beau Maghreb pour se frayer une place dans le monde de demain, que je vous exprime mon inquiétude de voir s¹accumuler les signes de la régression régionale au moment où se redessinent les rapports internationaux.
Alors que des nations s¹imposent sur la scène internationale sous le mot magique de pays émergents. Alors que ces nations, comme l’Inde, le Brésil, la Turquie ou l’Iran viennent disputer aux anciennes puissances coloniales et à l’hyper-puissance américaine le droit de régenter le monde, nous donnons encore l’image de tribus qui se cherchent sans cesse querelle et en appellent à l’arbitrage, voire à la protection, de ceux là mêmes auxquels les nations qui ont relevé les défis de la modernité contestent la conduite du monde.

Nous avons, certes, connu des moments plus durs par le passé, mais les temps qui viennent, s’ils ne sont pas abordés avec la lucidité et le sérieux qu¹ils nécessitent, risquent de nous laisser en marge de l¹histoire du monde.

Un monde où la lutte pour les ressources, pour la puissance, pour la vie tout simplement se ferra au profit des nations qui participent à l¹écriture de l¹Histoire du monde et au détriment des nations en marge de cette histoire.

Une partie importante de nos élites a déjà déserté la bataille collective pour un Maghreb fort, démocratique et uni dans la conquête de ses intérêts.

Ceci n’est pas nouveau dans notre histoire.

Ce qui serait nouveau serait de réussir à repousser nos atavismes meurtriers, nos égoïsmes plus tribaux que nationaux et cette sorte de fatalisme qui nous pousse à accepter le pire quand le mieux nous semble trop lourd à porter.

Je vous ai dit que j’allais être bref, je vais donc m’arrêter là, pour l’instant en vous souhaitant le meilleur pour la conduite de vos travaux.

Après, si vous le souhaitez, nous pourrons parler d’avenir.

Hocine Ait Ahmed


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Historiquement, sont les grandes puissances qui définissent les règles de jeu et les puissances moyennes sont plus ou moins contraintes de suivre. C’est ce que nous confirme une fois de plus la crise syrienne. Les pays du Golfe et la Turquie ont rapidement été appelés à se ressaisir par leur allié américain. Pour se faire comprendre, l’OTAN a clairement fait savoir à Ankara que l’Alliance ne se laissera pas entrainer dans une guerre ouverte avec la Russie. Le paysage de sécurité dans cette partie du monde est extrêmement volatile alors que chacun a déjà le doigt sur la gâchette. La stratégie poursuivie par les acteurs impliqués dans ce conflit (y compris européens, américain, et en particulier turc, saoudien, qatarien) considérant le terrorisme comme, pour paraphraser Carl von Clausewitz, « la continuation de la politique par d’autre moyens » a montré ses limites. De la même façon qu’il est vivement déconseillé d’exhorter un militaire à désobéir au civil/politique et cela quel que soit le contexte et l’urgence par crainte de créer un précédent, il est vigoureusement conseillé de bannir le terrorisme comme une stratégie. Car il est impossible de manipuler le terrorisme sans y subir les conséquences. Dans cet article, un accent sera mis sur la Turquie et la Russie.

La faillite du récit stratégique en Syrie :
La nature ne supporte le vide aussi longtemps. C’est mauvais pour les affaires. Le vide laissé par renversement du régime irakien fut une occasion pour les puissances régionales d’investir le terrain dans un contexte marqué par la diversité des enjeux et la multiplicité des acteurs. Comme chacun des acteurs impliqués y voit un jeu à somme nulle, le chaos était inévitable. Damas en a payé le prix. La Syrie est un mélange explosif fait de ; rivalités géopolitiques régionales ; luttes pour les ressources ; jeu des grandes puissances ; instrumentalisation de la religion et manipulation de l’identité ; difficultés économiques et sociales ; changements structurelles et aspirations démocratiques des populations de région.

Sont nombreux qui se sont trompés sur la Syrie. Dès le début de ce est appelé par euphémisme le « printemps arabe », les pays du Golfe, la Turquie et certaines capitales Occidentales prévoyaient (et parce qu’ils travaillaient à) l’effondrement du régime syrien dans quelques semaines voire mois. La suite est connue. Ce que subit la Syrie est une version plus subtile améliorée du « changement de régime » à l’irakienne. Dire cela, on vous fait sortir, comme à chaque fois, la « théorie de complot » pour discréditer toute lecture qui conteste le discours dominant véhiculant les bienfaits du « militarisme » humanitaire démocratique. Est-il nécessaire de citer l’ancien secrétaire à la défense Robert Gates. « La démilitarisation de l’Europe  », dit-il le 23 février 2010, constitue « une entrave à la réalisation de la sécurité réelle et d’une paix durable dans la 21e siècle ». Les dirigeants américains changent rapidement de logiciel lorsqu’un autre pays comme la Chine modernise ses forces. Dire cela n’est pas une indifférence à l’égard de la souffrance du peuple syrien. Mais c’est pour dire que la réalité est complexe et les solutions ne sont pas toujours aussi simples. Après tout sont ceux qui en parlent trop sur la souffrance des syriens qui soit en font peu pour la soulager soit l’aggravent davantage.

Certaines justifient ; le régime syrien est une dictature qui réprime sa population. Mais, enfin, la population au Bahreïn a connu le même sort. Mais personne n’en parle. D’autres exemples peuvent être cités. La réalité est que la révolte en Syrie (ainsi qu’en Libye) était dès le début militarisée et soutenue par des acteurs extérieurs avec un agenda géopolitique bien précis. Ces deux pays font partie de ceux que l’administration Bush fils a prévu de renverser militairement dans le cadre de son projet de reconfiguration géopolitique et géoéconomique du Grand Moyen-Orient. Comme le rappelle le général Wesley Clark, les pays dans la ligne de mire du Pentagone en 2003 étaient l’Irak, l’Iran, la Syrie, le Soudan, la Somalie, le Liban et la Libye. L’insurrection irakienne a modifié les plans initiaux. Aujourd’hui, on est face à des versions ajustées de la stratégie de « Changement de régime ». Bref, ici n’est pas le lieu d’aborder cette question. Ce que l’on contacte est simple : pour les grandes puissances le terrorisme « est la continuation de la politique par d’autre moyens ». Une organisation aussi abjecte que le « Front al-Nosra », par exemple, est considérée comme modérée.

Ce qui différencie la Syrie des autres endroits où le terrorisme est utilisé comme une stratégie, c’est qu’en Syrie les masques sont tombés. En Syrie, le récit stratégique de la guerre a perdu sa cohérence, devenant incapable d’assumer et de rationnaliser les contradictions qui lui sont inhérentes. Le récit d’un conflit est en effet un aspect important de légitimation et pour créer un consensus sur l’utilisation de la force. La tache est plus compliquée avec la connectivité mondiale et (qui intensifie) l’ « effet CNN ». Théoriquement, le contexte politique des guerres irrégulières contemporaines (pour être justifiées) nécessite que le but et la pratique des forces militaires soient régis par les valeurs libérales. La réalité est autre. Il s’agit d’un enfumage. Comme l’explique Lawrence Freedman, l’intégration des guerres avec la société civile rend l’application des valeurs libérales difficile et ce défi devient plus facile à y faire face lorsque les opérations militaires sont comprises pour contribuer à l’élaboration d’un récit fascinant sur l’évolution et les conséquences probables d’un conflit, dans lequel ces valeurs sont exposées pour être respectées. Ainsi, les récits  sont « stratégiques parce qu’ils ne surgissent pas spontanément, mais sont délibérément construits ou renforcés sur les idées et les pensées qui sont déjà en cours. Ils expriment un sentiment d’identité et d’appartenance et communiquent un sens de la cause, de but et de mission ». En outre, les « récits stratégiques ne sont pas analytiques et peuvent, lorsqu’ils ne sont pas fondés sur des preuves ou de l’expérience, compter sur les appels à l’émotion, ou sur des métaphores suspectes et des analogies historiques douteuses ».

Le stylo devient chaque jour plus puissant que l’épée. « Les mots sont importants et comment nous les utilisons dans notre dialogue est extrêmement important », prévient le général américain James Jones. En effet, l’importance de la langue est nette dans la guerre. Elle qui « est utilisée pour isoler et confondre les ennemis, rallier et motiver les amis, et obtenir le soutien des spectateurs hésitants ». Plutôt d’être simplement un outil de guerre, le discours peut façonner une guerre. « Le même langage dirige –ou dirige mal- l’effort militaire; la rhétorique du conflit politique devient la réalité de la théorie stratégique ». Le processus et le choix des mots sont d’une importance vitale. Par-dessus tout, le commandant doit établir le genre de guerre qu’il mène car « les noms donnés à un conflit peut influer sur le conflit lui-même ». Le processus de nomination et l’utilisation de la langue a « la conséquence involontaire de contraindre ou de mal orienter l’action ». Fréquemment, les types de mots et de caractères utilisés sont nécessaires pour maintenir le soutien politique à la maison ou à consolider la cohésion dans une coalition multilatérale.

Une erreur d’appréciation et de formulation pourrait empêcher non seulement l’État, mais aussi son armée, de faire les choix opérationnels les plus astucieux ou optimaux. De manière général, l’importance qu’accordent les systèmes politiques et militaires à la création, la diffusion et le contrôle du langage dans la guerre est un élément clé du conflit. Une fois introduits dans le discours politico-militaire, les mots peuvent façonner un champ de bataille. En Syrie, les contradictions sont telles qu’elles ne peuvent pas être rationnalisées. Comment convaincre les gens que le Front Al-Nosra fait un bon boulot ? L’Arabie saoudite lutte contre le terrorisme ? C’est une blague ! Qui pourrait croire que les pays du Golfe, parmi les régimes archaïques et sclérosés au monde, défendent la démocratie en Syrie ou ailleurs ? Même les Etats-Unis avec leur capital moral son incapables de jeter discrédit sur l’actions de la Russie. L’écart entre la réalité (les objectifs cachés) et le discours (objectifs déclarés de la coalition Etats-Unis, Turquie, Golfe persique et quelques capitales européennes) est tellement grand qu’aucun ajustement n’est possible sans remettre en cause la stratégie a cours.

Les discours élaborés pour des raisons politiques ou militaires peuvent avoir des effets très différents de ceux que visait le discours qui a été introduit. Le discours joue un rôle essentiel dans les conflits, direct ainsi qu’indirect. Le discours peut prendre une vie propre, forçant les dirigeants politiques et militaires et leurs institutions associées à être victime d’un piège de discours. « En temps de guerre », explique Michael Vlahos, « le récit est beaucoup plus qu’une simple histoire. Le ‘récit’ peut sembler un mot littéraire extraordinaire, mais il est en fait le fondement de toute stratégie, sur laquelle tout le reste -la politique, la rhétorique et l’action- est construit. Les récits de guerre doivent être identifiés et examinés de façon critique sur leurs propres termes, pour qu’ils puissent éclairer la nature intime de la guerre elle-même ». Plus clairement, le « récit de la guerre fait trois choses essentielles. Premièrement, il est le cadre de l’organisation de la politique. La politique ne peut pas exister sans une base de verrouillage des ‘vérités’ que les gens acceptent facilement, car elles semblent être évidentes et indéniables. Deuxièmement, cette ‘histoire’ fonctionne comme un cadre, précisément parce qu’elle représente justement une telle vision existentielle. Les ‘vérités’ qu’elle affirmait sont culturellement impossible à démonter ou même à critiquer. Troisièmement, après avoir présenté une logique de guerre qui est incontestable, le récit sert alors pratiquement comme le manuel rhétorique oint pour la façon dont guerre doit être débattue et décrite ».

La Turquie : La quête d’une « profondeur stratégique »

Depuis 1945, au moins, l’ancrage de la Turquie en Occident s’est progressivement affirmé et assumé. Durant les décennies suivantes, les impératifs de la guerre froide ont largement déterminé la politique étrangère et la stratégie de défense du pays. La Turquie ne conçoit en aucun cas sa stratégie de défense en dehors de l’OTAN. L’évolution de l’environnement international suite à l’effondrement de l’Union soviétique, les changements subséquents en l’Europe centrale et orientale, la poursuite de l’intégration et de l’élargissement de l’Union européenne, entre autres, ont profondément affecté la politique Turque. Ainsi dès le début des années 1990, Ankara est venue à réévaluer son environnement de sécurité régional. Toujours attachée à l’Alliance atlantique, la stratégie de défense de la Turquie prend la forme de « deux guerres et demie » ; les principales menaces étant la Grèce, la Syrie et une insurrection à l’intérieur du territoire national, en l’occurrence kurde.

Cette doctrine est en partie confortée par l’accord gréco-syrien de sécurité en 1995, la présence d’Abdullah Öcalan (le leader du Parti des travailleurs du Kurdistan actuellement en prison) en Syrie et les relations de l’organisation séparatiste avec Athènes. Cela exige le maintien d’un important appareil de défense dissuasif. Faisant également partie de cette stratégie, l’établissement d’une alliance avec Israël face à la Syrie, celle-ci étant déclinante depuis l’arrivée au pouvoir en 2002 du Paris de la Justice et du développement.

Malgré les tensions, les relations avec la Syrie n’ont jamais été rompues. Il y a même eu un rapprochement après l’intervention américaine en Irak et renversement de Saddam. La coopération entre les deux capitales est dictée par des intérêts commun y compris l’endiguement du chaos irakien et la prévention de l’émergence d’un Etat kurde indépendant. En outre, le désir de la Turquie d’adhérer à l’Union européenne l’a conduit à améliorer ses relations avec la Grèce depuis 1999 et a commencé à réduire sa présence militaire sur Chypre.

Géographiquement, la Turquie est un vrai pivot géopolitique qui a l’ambition de devenir un carrefour stratégique des stratégies énergétiques et une puissance régionale de premier plan. Sa posture gaulliste a suscité parfois des tensions et des crises même avec les Alliés les plus importants y compris les Etats-Unis. L’adoption la « doctrine de zéro problème avec les voisins » était censée fournir à la Turquie une « profondeur stratégique » lui permettant de tirer un avantage certain de sa situation. Cette politique élaborée par Ahmet Davutoğlu dans son ouvrage Profondeur stratégique édité en 2001, où il établit le cadre théorique qui doit permettre à la Turquie d’accéder au rang de puissance globale en consolidant son rôle de pôle régional, notamment en établissant des relations étroites avec les pays l’avoisinant.

Son idée est simple ; dans son environnement régional, des Balkans au Proche-Orient, la Turquie a à la fois le devoir et un « droit naturel » d’intervenir comme un leader. « La mer Méditerranée est notre mer : elle l’a toujours été, elle le sera toujours », disait un proche conseiller du ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu. Et voilà ce qui explique l’hétérie du ministre de la défense turc, Ismet Yilmaz, qui ose, lors d’une conférence de presse tenue aux Emirats arabes unis, critiquer l’Algérie pour « soutenir le terrorisme au Moyen-Orient ». Cette zone ne devrait pas être la scène de l’intervention des pays africains tels que l’Algérie et le Maroc. « Vous savez que la position de la Turquie a toujours été de lutter contre le terrorisme. On aurait du mal à me convaincre de la nécessité de la présence algérienne au Moyen-Orient, cette intervention pourrait provoquer notre réaction militaire contre les intrus », dit-il. Si cette information est avérée, on peut dire que la Turquie est gravement désorientée. vivant une vraie expérience de « privation sensorielle » causée par les échecs répétitifs. Encore une fois de plus, Ankara se retrouve hors-jeu. Ce devient une habitude. En effet, l’identité algérienne s’est forgée à son corps défendant. Sans ignorer les faiblesses de l’Algérie, le pays reste un fournisseur de sécurité et un exportateur de stabilité.

Pour rappel, l’expression de « profondeur stratégique » a été utilisée par Dick Cheney au début des années 1990 dans la nouvelle stratégie défense pour remplacer l’expression « bloquer tout rival » utilisée dans la controversée Defense Planning Guidance, publiée en février 1992. En termes militaires, elle a une connotation avec un territoire supplémentaire qui fournit une marge de sécurité supplémentaire dans la lutte contre des adversaires. Par exemple, une Afghanistan contrôlée par les Talibans –est dit- donne au Pakistan une « profondeur stratégique »  face à l’Inde. Lorsque les responsables du Pentagone ont commencé à utiliser le terme en 1990, il avait cette même connotation géographique. Mais dans la révision de Lewis ‘Scooter’ Libby, la phrase prend un sens plus large et plus abstrait; « profondeur stratégique » se réfère à la position avantageuse de l’Amérique dans le monde, son vaste réseau de bases, armements et niveaux de la technologie militaire. Pour Davutoglu, décrit comme le « Kissinger de la Turquie », l’idée de « prendre parti » est une relique de la guerre froide. « Nous ne tournons pas notre visage à l’Est ou à l’Ouest », dit-il. Plus que tout, le Turquie rêve d’intégrer l’UE et s’imposer comme le leader naturel au Moyen-Orient. La lenteur des négociations d’adhésion à l’UE a conduit Ankara à se tourner vers le monde musulman. Mais son leadership est contesté dans l’« Orient complique ». Ni l’Iran, ni l’Egypte ni l’Arabie saoudite n’est disposé à lui reconnaitre ce statut.

De « zéro problème avec les voisins  » à «  zéro voisin sans problèmes  »

Ce n’était qu’une question de temps avant que la doctrine de « zéro problème » ne tombe désuète. Pour avoir zéro problème, il faut se focaliser à mettre l’ordre chez soi. Mais l’esprit du « néo-ottomanisme » est si fort que la Turquie ne peut pays y résister. De « zéro problèmes », elle passe à « zéro amis », «  zéro voisin sans problèmes  ». Il ne s’agit pas uniquement de la Syrie. En Egypte, Ankara s’est aussi mise du mauvais côté. Le premier ministre Erdoğan a publiquement dit qu’« il n’y a aucune différence » entre Bachar el-Assad et Abdel Fattah al-Sissi. Le renversement des Frères musulmans en Egypte a été échec pour la diplomatie Turque. Les relations avec Israël sont gravement dégradées. Avec l’UE, la relation n’est pas meilleure. A plusieurs reprises les responsables turcs ont accusé les Etats occidentaux d’avoir orchestré et financés les manifestations et diverses « forces obscures » (ce qu’Erdoğan appelle le «lobby» international « du taux d’intérêt ») dans le pays.

Les interventions turques en Irak sont une source de tension. L’Iran est clairement opposé à la vision d’Ankara. Leurs stratégies régionales se neutralisent. Il est peu probable que les Iraniens abandonnent leur allié syrien. La Syrie fait partie des intérêts vitaux des Téhéran. L’abattement d’un avion militaire russe a encore compliqué la situation de la Turquie. L’ampleur de l’engagement militaire russe en Syrie montre la détermination de Moscou qu’une décision ne peut être prise sans son accord. Le dernier coup de disgrâce est venu leur allié ; les Etats-Unis font des Kurdes une pièce maitresse de leur stratégie contre Daech.

La Turquie s’est retrouvée hors-jeu. Cela signifie que l’ennemi principal pour Turquie, en l’occurrence, n’est pas considéré comme un groupe terroriste par les Américain, mais un allié. Une série d’erreur d’appréciation de la situation. Il est encore temps de temps de se ressaisir. Au bout du compte la position régionale d’Ankara est plus que jamais difficile. Face à l’offensive de la Russie et l’Iran, les moyens de la Turquie de peser sur le règlement du conflit syrien sont désormais réduits. Seul le renforcement de ses liens avec l’Occident est susceptible de lui sauver la face. Mais la solidarité atlantique a ses limites. L’Alliance atlantique a clairement fait savoir que l’OTAN ne se laissera en aucun cas entrainé dans une guerre avec la Russie pour un différend avec la Turquie. D’après les médias allemands, « des diplomates européens ont averti le gouvernement turc qu’il ne pourrait pas compter sur le soutien de l’OTAN si le conflit avec la Russie devait dégénérer en conflit armé ». La Turquie a intérêt à prendre en compte sérieusement les préoccupations sécuritaires de la Russie qui sont réelles. Dans un environnement régional extrêmement volatile, une simple erreur de calcul et l’ « impensable » pourrait se produire. L’ampleur de l’engagement russe en Syrie ne laisse guère de doute quant à la détermination de Moscou d’aller au bout de sa compagne militaire et sa volonté de peser sur l’issue du conflit syrien.

La Russie : entre sentiment de vulnirabilité stratégique et ambitions de puissance 

Les intérêts stratégiques de la Russie sont plutôt plus modestes. Elle n’a ni aucune intention d’entrer dans une confrontation avec l’Occident. Ce qui est considéré comme un comportement russe irrationnel ou la volonté de reconstituer l’empire perdu fait partie de cette longue histoire d’idées fausses et d’échecs à comprendre les forces motrices du comportement extérieur de Moscou, qui peut être expliqué par le caractère durable de sa culture stratégique ; le sentiment de vulnérabilité stratégique. Comme une formule académique, l’idée de la culture stratégique souffre d’un certain nombre de faiblesses. Le concept de culture est amorphe, et il est difficile de prouver l’importance des facteurs culturels dans l’élaboration de résultats stratégiques -la culture de manière générale se manifeste autour de trois niveaux différents allant des « Artifacts » aux « valeurs défendues » et aux « Hypothèses de base ». Cependant, le concept a une valeur considérable comme un ombrage ajouté à une image plus large.

Les différents Etats ont des cultures stratégiques différentes, qui sont enracinées dans les expériences de formation de l’Etat, et sont influencés dans une certaine mesure par les caractéristiques philosophiques, politiques, culturelles et cognitives de l’Etat et ses élites. L’effet global de la culture de la sécurité nationale est de prédisposer les sociétés en général et les élites politiques en particulier à l’égard de certaines actions et politiques au détriment d’autres. De cette façon, elle limite les choix de comportement qui fait que l’on pourrait tirer des prédictions précises sur le choix stratégiques. Certaines options ne seront tout simplement pas imaginées, certaines sont plus susceptibles d’être rejetées comme inappropriés ou inefficaces que d’autres. La culture stratégique peut être comprise comme une prédisposition culturelle profondément ancrée pour une pensée ou un comportement particulier, dérivé de l’histoire et la géographie d’un pays, les mythes et les symboles nationaux, les traditions et les institutions politiques d’un pays. Pour Colin Gray, la culture stratégique, « découle de la géographie et des ressources, de la société et de la structure politique » et, plus important, « se référant à des modes de pensée et d’action à l’égard de la force ».

La culture stratégique n’est pas un simple produit de la culture militaire, et ce n’est pas le seul domaine où son influence se fait sentir. Elle influe également sur les systèmes politiques, et les traditions et pratiques de politique étrangère d’un pays ; la raison pour laquelle le concept a été élargi pour se concentrer sur les grandes stratégies des Etats et comprend (en plus de moyens militaires pour atteindre les objectifs d’un Etat) des variables telles que l’économie et la diplomatie. Ainsi, non seulement la façon dont le pouvoir politique est acquis et utilisé, mais aussi la façon dont un pays particulier voit et traite le monde extérieur sont des facteurs déterminants dans la formation de la culture stratégique de l’Etat. Les objectifs de la politique étrangère qui sont poursuivis par un état, et qui reflètent son identité et les intérêts, sont définis par sa culture stratégique. Le Commandement du Sud des États-Unis définit la culture stratégique comme « la combinaison des influences et expériences internes et externes -géographique, historique, culturelle, économique, politique et militaire- qui façonnent et influencent la façon dont un pays comprend sa relation avec le reste du monde, et comment un Etat se comportera au sein de la Communauté internationale ».

Comment le pays conçoit son propre rôle dans le système international et sa perception de la sécurité font également partie de sa culture stratégique. Privée d’une profondeur stratégique, la géopolitique de la Russie est marquée par l’indéfendabilité. C’est-à-dire elle est géopolitiquement instable et qu’elle n’est pas sure, ni dans le temps de l’empire ni à l’époque (post)soviétique. Quand l’URSS était une puissance dominante dans le système bipolaire, la culture stratégique russe a été basée sur la perception de l’infériorité stratégique et la question clé est : comment maintenir la sécurité. Ce sentiment de vulnérabilité habite les dirigeants russes. L’élargissement de l’Otan aux frontières russes, le système de défense anti-missiles de l’Otan, etc. ne font qu’accroitre ce sentiment. Ce cycle n’a rien à voir avec l’idéologie ou le caractère russe. Il a tout à voir avec la géographie, qui à son tour génère l’idéologie et façonne le caractère. La culture stratégique du pays est fondée sur « une perception quasi obsessionnelle d’une menace générale à la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Russie ». Les dirigeants russes appréhendent le monde d’abord à travers un prisme réaliste, dans lequel la recherche d’un équilibre du pouvoir est une caractéristique permanente. Pour eux, la Russie doit favoriser l’émergence d’un monde multipolaire -ses intérêts y dépendent.

Les principaux éléments de sa culture stratégique russe -combativité, compétitivité, affirmation de soi politique, fermeté face à ce qui est perçu comme la plus grande menace à sa sécurité et ses ambitions- sont présents les aspirations renaissantes du pays pour retrouvé un statut de grande puissance. Cela a clairement était affirmé dans le « Concept de politique extérieure » approuvé en Juillet 2008 par le président Medvedev, qui visait « à assurer la sécurité nationale, à préserver et renforcer sa souveraineté et l’intégrité territoriale, à atteindre de fortes positions d’autorité dans le monde… ». L’engagement de la Russie dans le théâtre syrien constitue changement majeur. Il traduit une stratégie multidimensionnelle.

Les objectifs sont multiples. En premier lieu, c’est une démonstration de puissance en direction de l’OTAN. Ensuite, placer la Russie en acteur incontournable dans la recomposition du Proche et Moyen-Orient tout en préservant ses intérêts stratégiques. « L’enjeu, pour les Russes, est celui de l’accès aux mers chaudes et à leurs ports. Enfin, il s’agit également pour la Russie de répondre à la menace de l’islamisme radical : les combattants étrangers de Daech comptent en effet, dans leurs rangs, 4 000 russophones dont 2 000 Russes », a indiqué le général Didier Castres, sous-chef d’état-major Opérations de l’armée française. La Russie va donc continuer à réagir fermement à tout ce qui est perçu comme une menace à son influence, sécurité et intégrité territoriale en premier lieu Daech est ses groupes affiliés. La connexion des groupes actifs en Syrie aux organisations de l’Asie centrale est sérieusement prise en compte par les Russes. C’est tout simplement est intolérable. A plusieurs reprises, Poutine a clairement fait savoir qu’il n’hésitera en aucun cas à recourir la force militaire pour protéger ce qu’il considère comme les intérêts vitaux de la Russie (Géorgie, Ukraine, Syrie, etc.).

Source : Quotidien d’Oran/Algeria.

Tewfik HAMEL

Consultant, chercheur en Histoire militaire et Chef de la Rédaction d’African Journal of Political Science


Aujourd’hui s’ouvre la session parlementaire du printemps dans un contexte national, régional et international trouble et troublé.

Au plan interne, l’activité politique a été dominée par l’adoption d’une loi de finances 2016 et une révision de la constitution.

Une loi de finances anti-nationale et anti-sociale; une révision constitutionnelle,  qui, en raison des conditions de son élaboration et  de son adoption, constitue un véritable coup de force institutionnel et constitutionnel.

L’immense majorité des Algériennes et des Algériens commence à subir les conséquences dramatiques de cette loi de finances scélérate et reçoivent des électrochocs répétés suite à une flambée des prix qui n’est pas prête de s’éteindre.

Pourtant, il y a quelques mois, les mêmes autorités assuraient que le pays ne connaissait pas de crise  et qu’il ne serait pas touché par l’austérité.

Aujourd’hui, on prêche le discours de vérité, quel discours tenait-on hier et avant-hier ; le discours de la ruse, du mensonge, du déni de la réalité et de la violence.

Encore aujourd’hui, l’imposture n’est pas finie ; on veut faire croire à l’extérieur que le pays est sur la voie d’une démocratisation graduelle alors que les options retenues visent simplement à renforcer le régime par le droit et non à limiter le pouvoir. Ces options instituent la régression des libertés par la judiciarisation du politique.

Comment peut-on parler de séparation des pouvoirs alors que jusqu’à l’heure actuelle, l’initiative des lois demeure le domaine réservé de l’Exécutif.

Chaque matin, tout Algérien qui sort de chez-lui sait qu’il n’est pas dans un pays plus uni, plus juste, plus libre et plus stable.

Dans ce contexte, l’activité parlementaire va être lourdement impactée par la programmation des lois organiques, à la suite de la dernière révision de la constitution.

Comment ne pas voir que nous sommes en présence d’un véritable carrousel; il y a eu inversion des priorités et cela révèle la logique personnelle, si ce n’est partisane ou clanique, qui a conduit à programmer cette révision en dernier. Ce qui est sûr, c’est qu’on va encore réviser des lois et des réformes qui viennent d’être adoptées.

Cette révision ne permettra pas le changement.

Un aspect méconnu de cette révision, même si elle a donné lieu à quelques lectures d’experts, est son contenu économique.

Nous partageons le point de vue de tous  ceux qui estiment que cette constitution consacre la rupture avec l’Etat-social, la régression syndicale, la dérèglementation de la sphère économique et « l’open sky » en matière du droit du travail.

Ce nouveau modèle économique, n’aurait-il pas nécessité un grand débat  citoyen, un grand débat démocratique ? Ce débat n’a pas eu lieu parceque le pouvoir et certaines forces politiques n’ont pas pu, n’ont pas su ou n’ont pas voulu lever le préalable politique. Pour rassembler les énergies, pour renforcer la cohésion sociale, il eut fallu opter pour un dialogue politique véritable pour reconstruire le consensus national.

A ce propos, le FFS souligne que les différentes initiatives politiques présentes sur la scène médiatico-politique ne se confondent  pas.

Le pouvoir persiste dans une démarche unilatérale et autoritaire parce qu’il pense disposer  des ressources politiques, diplomatiques, financières, économiques, culturelles et sociales pour continuer dans cette voie et qu’il escompte un retournement de la conjoncture pétrolière en sa faveur.

Les origines de la crise algérienne remontent au lendemain de l’indépendance du pays. La crise était présente avant la chute des revenus des hydrocarbures ; même cette dernière l’a aggravé et révélé les vulnérabilités du pays. Chaque jour qui passe démontre qu’aucun acteur politique ou social ne peut à lui seul trouver une issue politique et mettre le pays sur la voie d’un développement durable.

Dans la conjoncture actuelle, le FFS se veut dans la continuité du message de Novembre et du congrès de la Soummam. Il reste fidèle à ses engagements primordiaux de construire démocratiquement la nation algérienne et l’Etat démocratique et social. C’est pourquoi le FFS décide de commémorer le 60ème anniversaire de la création de l’UGTA, bras syndical de la révolution algérienne, par ce recueillement sur la tombe de Aissat Idir.

Dans le domaine de l’action parlementaire, le FFS continuera de populariser et de potentialiser les revendications légitimes de la population.

Le FFS poursuivra dans le travail de proximité auprès de la population et continuera de rechercher et de proposer des mécanismes et des cadres de dialogue et de concertation pour reconstruire le consensus national. Ce consensus ne saurait être la réédition de projets frontistes dépassés ou d’alternances claniques qui ne répondent pas à l’espérance démocratique du peuple algérien.

Sur le plan régional,  le FFS constate avec inquiétude la difficulté des Etats de la région  à peser sur les enjeux régionaux voire à contrecarrer les manœuvres et les options retenues par les puissances étrangères.

Pour le FFS les politiques  de guerre,  loin de lutter efficacement contre le terrorisme, aboutissent souvent à la destruction des Etats et à des situations humanitaires catastrophiques.

Dans cet esprit le FFS soutient une  solution politique en Libye et se prononce contre toute intervention militaire  étrangère dans la région.

Le FFS continue  de croire que la construction démocratique du Maghreb est à même d’apporter à la région et à nos concitoyens la paix, la stabilité et le développement.

Le 1er Secrétaire, Mohamed Nebbou, 

Alger, le 02 mars   2016

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INTERVIEW William Lawrence, expert en géostratégie et directeur associé spécialiste de l’Afrique du Nord au sein du cabinet de conseil en risques politiques, opérationnels et sécuritaires, Control Risks, répond aux questions d’Algérie-Eco sur les risques auxquels la région Moyen-Orient-Afrique du Nord (MENA) et l’Algérie doivent faire face en pleine crise du pétrole et les solutions qui s’offrent aux différents acteurs.

AE : Pensez-vous que l’accord signé à Doha mi-février entre le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Russie et le Venezuela portant sur le gel des productions pétrolières peut endiguer la chute du prix du baril qui a depuis l’été 2014 perdu 70% de sa valeur ?

WL : C’est une démarche mais ce n’est pas suffisant, parce que l’Iran et l’Irak surtout n’ont pas signé. Pour moi, il faut voir cet accord comme une première tentative. C’est une bonne tentative mais qui ne résout pas le problème. Il faudrait beaucoup plus de coordination entre les pays pour arrêter la chute des prix ou bien pour stabiliser les prix et les faire remonter peu à peu.

Cela dit, je trouve cela extraordinaire quand je vois que les Saoudiens et les Russes qui ne sont pas de très bon amis, travaillent de cette manière. C’est un changement géopolitique. Et il y a des changements extraordinaires en ce moment concernant le Moyen-Orient et je crois que ces changements ne sont pas encore terminés. On va encore trouver de nouvelles alliances entre les pays.

L’Iran devrait, incessamment sous peu après trois ans d’embargo, se remettre à exporter. En matière d’hydrocarbures, il y a des rumeurs selon lesquelles la compagnie Total serait d’ailleurs déjà sur le coup. Est-ce que vous pensez que ce retour peut annihiler les tentatives pour revenir à un prix du baril élevé ?

On ne sait pas encore. Une chose est claire : c’est avec le temps que ce problème va se régler. Le prix du pétrole est très difficile à prédire. Il y a des risques dont nous connaissons la nature mais il y a aussi des risques de choc c’est à dire des risques que personne n’a prévu (climatiques, environnementaux, …). Il y a une chose qui est sûre, quand le prix baisse, normalement il se réduit de beaucoup plus que ce que les gens pensaient. Et quand le prix augmente, il a tendance à augmenter beaucoup plus que ce à quoi les gens s’attendaient.

Donc, il est très difficile de dire à quel point le prix va baisser. Il y a quelques années le prix du pétrole a atteint les 8 dollars le baril. Ca peut baisser encore.

Je ne suis pas sûr que l’on ait vu le plus bas prix. Les prix peuvent encore descendre. La plupart des experts disent que fin 2016 début 2017, on va avoir un prix qui va ré-augmenter. Ils pensent que le prix va atteindre les 60 dollars le baril, vers 2018. Mais en vrai on en sait rien, on ne peut pas prédire.

Pour votre cabinet de conseil, vous avez établit qu’un des quatre grands risques pour la région MENA pour l’année 2016 est la chute des prix du pétrole. Dans quelle mesure, en Algérie et pour l’ensemble de la région, cela devrait inciter les gouvernements, les administrations, les entités économiques à des changements à cause de la limitation de leurs budgets ?

Cela devrait les inciter à des changements ou bien à la considération de ces changements. Cela ne veut pas dire qu’ils vont agir, mais qu’ils doivent se poser la question « est-ce que c’est le bon moment ? est-ce que l’on doit faire certains changements ? ».

On ne peut pas savoir à l’avance ce que des gouvernements vont faire ou ce que la société va demander et tolérer en tant que changements.

Mais les pressions sur les gouvernements sont claires et les pays producteurs de pétrole et de gaz ont beaucoup de pressions. Mais le degré de pression dépend des pays. En Irak, on a neuf mois de réserves de devises. En Lybie, c’est entre 17 et 19 mois. En Arabie Saoudite c’est trois ou quatre ans. Pour l’Algérie, je sais pas, je dirais de trois à cinq ans mais je ne sais pas exactement. Même si les réserves sont pleines, il peut y avoir des problèmes de liquidités.

Et ces problèmes de liquidités peuvent entraîner des augmentations d’impôts, des taxes, …

Et des emprunts. Des emprunts qui ne sont pas mauvais mais qu’il faut bien investir. Si c’est pour consommer ou pour les investir ce n’est pas la même chose.

Il y a beaucoup de pression pour les pays producteurs, est-ce qu’ils vont faire ces changements ? On n’est pas sûrs. La chute des prix du pétrole est une occasion à saisir pour lancer de nouvelles réformes dans les pays producteurs de pétrole. Mais y a des problèmes administratifs dans les gouvernements producteurs de pétrole. Il y a des manques administratifs et des manques de capacité d’application. Par exemple, on peut décider d’appliquer une taxe et même passer une loi, mais il y a des problèmes de d’application et de surveillance de cette application.

Le grand enjeu, la grande question est de savoir : est-ce que les gouvernements des pays producteurs de pétrole vont saisir l’occasion de la chute des prix pour réformer ou non ? Et là, c’est pas clair si ça va se faire, dans l’ensemble des pays ou pas et à quelle vitesse. Aussi, si le prix du pétrole remonte rapidement, ça retirerai la pression pour les réformes. Si les prix restent en bas il y a plus de pression qui se prolongera pour faire les réformes nécessaires.

Dans l’idéal, pour profiter de la situation, quelles seraient les pratiques, les politiques qu’il faudrait mettre en place pour faire face à cette chute des prix, pour diversifier l’économie, pour se réorienter et s’ouvrir ?

Une bonne réponse prendrait trop longtemps parce qu’il s’agit de tout un programme économique pour un gouvernement. Dans la plupart des pays, il faudrait s’ouvrir à de nouveaux secteurs. Il y a des reflexes de protectionnisme dans les lois mais aussi dans les pays. Il y a des reflexes de souveraineté étatique. Ce sera difficile à faire. Il faut des changements de mentalité. Dans la plupart des pays arabes, les jeunes comprennent ça mais il faudra que les nouvelles élites et les jeunes technocrates montent dans les positions de pouvoir, dans les hiérarchies pour pouvoir appliquer ce genre de vision.

Est-ce que cette économie de l’ouverture est réellement un idéal qu’il faut atteindre ? Est-ce si néfaste de rester dans une économie à forte ingérence gouvernementale, nationalisée ou basée sur les richesses naturelles (que sont les hydrocarbures en l’Algérie) ?

Ca dépend ce que l’on fait. Si l’on compare les Emirats Arabes Unis et Oman. Le premier pays a fait les bons choix pour investir, pour que la population et que le pays profite de la richesse.

Le second a beaucoup de potentiel mais ils ne l’ont pas développé. Il faut dire aussi que les choix politiques ne sont pas automatiques et les leaders font face à certaines problématiques, certaines dynamiques qui sont plus ou moins identiques dans tous les pays. Est- ce qu’ils veulent faire des choix de court terme, pour leur succès politique de court terme ou est-ce qu’ils sont prêts à risquer tout, parfois même leur carrière politique pour engager des réformes structurelles et viser des objectifs à moyen ou long terme ?

C’est difficile pour les pays, notamment les pays producteurs de pétrole de privilégier le long ou moyen terme au court terme. Pour cela, il faut des leaders qui puissent porter cette idée et que la population voit les choses à long terme et pas à l’instant T.

Propos recueillis par Sarah Mechkour

1 mars 2016 17:25 in http:/algerie-eco.com/


Reflections on Migration and Brain Drain in the Caribbean Island Economies

Fanny-Aude Bellemare

 

Résumé

Loin d’être un phénomène nouveau, les mobilités internationales se sont fortement accrues depuis les années 1960. Aujourd’hui, le contexte de mondialisation tend à accélérer les dynamiques migratoires alors que dans le même temps s’observe une élévation des niveaux d’éducation. Ainsi, la soutenabilité de l’augmentation de la fuite des cerveaux dans le monde soulève interrogations et réflexions.
Le poids des flux de migrants qualifiés allié à la fragilité relative des données, pose la nécessité d’aborder en profondeur le problème de la fuite des cerveaux. Une analyse au cas par cas s’impose. A partir de données se rapportant à la diaspora caribéenne sur la base statistique de Docquier et Marfouk, cet article propose une réflexion sur les facteurs explicatifs de la fuite des cerveaux dans les territoires insulaires caribéens.

Mots-clés :

Capital humain, Diaspora caribéenne, Economies insulaires, Fuite des cerveaux, Taux d’émigration qualifié

Plan

Introduction

1. Migrations des travailleurs, émigration qualifiée dans la Caraïbe insulaire.

1.1 Migrations de la main d’œuvre dans la Caraïbe insulaire.

1.2 L’exportation des cerveaux dans la Caraïbe

2. Estimations des régressions explicatives du taux de migration qualifié

2.1 Présentation des données

2.2 Estimation économétrique et résultats

Conclusion

 

Texte intégral

Introduction

1La disposition naturelle des hommes à migrer vers des territoires abondant en ressources est sans nul doute considérée dans le circuit économique comme un phénomène traditionnel.
Au XXIème siècle, les migrations sont généralement ordonnées par l’existence de facteurs économiques, politiques ou encore sociaux. Les mouvements migratoires de la diaspora caribéenne s’inscrivent dans ce contexte. Loin d’être une exception notable, elle présente un échantillon du monde mettant en exergue l’existence des multiples causes de départs des flux de migrants. Analysées en détail, un point témoigne avec acuité d’une caractéristique commune : une tendance forte au départ de la main d’œuvre qualifiée. L’ensemble des îles de la Caraïbe insulaire, de Cuba à Trinidad sont enclines à ce qui est communément appelé la fuite des cerveaux. Selon Ratha et Xu (2008), quatre des îles appartenant à l’arc caribéen sont dénombrées dans les dix premiers pays ayant un taux d’émigration qualifiée  élevé en 2005. A titre d’illustration, la Jamaïque enregistre un taux d’émigration qualifiée de près de 82,5 %, Haïti de 81,6 %. Trinidad et Tobago et Grenade enregistrent respectivement des taux de 78,6% et 66,7%.

2La littérature économique abonde sur ce sujet. Certains économistes, justifient le bien fondé de l’émigration qualifiée. Les premières travaux (Grubel et Scott, 1966 ; Johnson, 1967) soulignent qu’une émigration qualifiée génère des externalités positives par le biais de divers canaux de transmission (transferts de fonds, les réseaux, les retours des migrants). En retenant l’hypothèse de concurrence pure et parfaite au travers des divers canaux précités, les effets néfastes d’une fuite des cerveaux peuvent être amoindris. L’émigration des travailleurs qualifiés apparait dès lors comme une contribution à l’accroissement de l’activité économique du pays de départ sur le long terme. Elle permet la régulation des excès démographiques, du niveau du chômage de la main d’œuvre qualifiée et également de l’amélioration des niveaux d’éducation.

3Pour autant, les théories récentes énoncent des thèses pessimistes quant aux retours de l’émigration qualifiée sur l’économie. Bhagwati et Hamada (1974), Haque et Kim (1995). considèrent en relâchant certaines hypothèses néoclassiques qu’une fuite des cerveaux conduit à la perte nette des investissements publics injectés à la formation de la main d’œuvre des pays d’origine, contribue à accroitre les inégalités économique et diminue les capacités d’innovation des pays d’origine. Docquier consolide ces arguments en apportant précisions sur le niveau des taux d’émigration qualifiée. La conclusion étant qu’à partir d’une analyse de l’impact de l’émigration des travailleurs qualifiés dans les pays en développement, « un taux d’émigration qualifiée positif mais limité entre 5 % et 10 % peut être bon pour le développement » (Docquier, 2007 : 49).

4La validité empirique de cet argument induit des questionnements relatifs à la situation des économies insulaires caribéennes déjà sujettes à une forte propension des migrations internationales; et qui pour la plupart ne voient pas leur taux en deçà de 20%. Notons, d’autres îles de la Caraïbe enregistrent des taux d’émigration qualifiée relativement importants, oscillant entre 20 et 60 % : la Barbade avec 61,4 %, Sainte-Lucie avec 36 %, Cuba avec 28,9%. Et,  la  Dominique  et  Saint-Vincent présentent des taux de l’ordre 58,9 % et 56,7 %.

5Le phénomène migratoire va en s’intensifiant dans cette région caractérisée d’un côté par un éloignement des grands marchés mondiaux, un fort degré d’ouverture et aux marges de manœuvre étroites en politique économique; et de l’autre par un fort accroissement démographique, des populations concentrées dans les villes et l’augmentation du chômage. Compte tenu du contexte théorique et des effets potentiels, quels sont facteurs explicatifs de l’émigration qualifiée dans ces économies insulaires ?

6Cet article s’interroge sur les facteurs de la fuite des cerveaux dans les territoires insulaires caribéens. La section 1 procède à analyse statistique de l’émigration dans la Caraïbe insulaire, la seconde 2 propose une explication du niveau du taux d’émigration qualifié et la conclusion souligne les faits stylisés.

1. Migrations des travailleurs, émigration qualifiée dans la Caraïbe insulaire.

7Née de courants migratoires, la Caraïbe s’avère être une construction mosaïque où ces phénomènes multiples et diversifiés sont traditionnellement établis. Des premières périodes coloniales jusqu’à aujourd’hui, les économies insulaires caribéennes sont entièrement dynamisées par les déplacements internationaux de sa population (main d’œuvre non qualifiée et qualifiée). La nature et les causes des fortes propensions à l’émigration de la main d’œuvre dans ces territoires proviennent à la fois de leurs spécificités économiques liées à leur configuration territoriale, de leur insularité et de fondements historiques.
La présente section expose successivement, les lignes historiques des migrations dans la Caraïbe insulaire. Puis, l’état de l’émigration qualifiée, phénomène particulièrement prégnant dans les économies insulaires caribéennes.

1.1 Migrations de la main d’œuvre dans la Caraïbe insulaire.

8De manière générale, au départ de ces économies les flux de migrants sont de nature intra régionale et extra régionale (cf. figure 1). Les premiers trouvent une explication en raison de la proximité des îles aux traits historiques communs, où une évidente dynamique migratoire inter îles s’est développée et se pérennise. Néanmoins, la possibilité de migrer d’une île à l’autre s’avère limitée par les présentes barrières linguistiques et de législation  réduisant dès lors l’installation potentielle des travailleurs provenant de la région et laissant davantage d’ampleur aux migrations extra régionales en direction des anciennes métropoles. Selon Grosfoguel (1997 : 599), « il est plus facile pour les migrants des îles caribéennes d’intégrer une métropole d’origine que les autres îles ». Les migrations extra régionales qui s’étendent sur la période allant de 1950 aux années 2000 sont marquées par trois phases décrivant le schéma migratoire de ces îles.

La période allant de 1950 à 1970, les migrations de nécessité alternative.

De 1970 à 1990, il s’agit de migrations de pulsion et d’attraction.

Et des années 90 aux années 2000, les migrations sont influées par les mutations socio-économiques.

9S’agissant des décennies 1950, 1960, 1970, les migrations dites de nécessité alternative convergent les stocks de migrants à destination des anciens pays colonisateurs en raison de l’ouverture des frontières (par assouplissement des procédures administratives ou par l’accessibilité aisée aux garanties de l’Etat-providence) et de l’appel de main d’œuvre étrangère  induit par la période de plein essor économique de ces derniers. A la suite de la période d’après guerre, le nouveau contexte économique génère un besoin en main d’œuvre capable d’honorer les nouveaux volumes de production dans les pays d’accueil. D’un autre côté, les terres d’expatriations suscitent des migrations périodiques voire définitives d’un grand nombre de travailleurs  insulaires caribéens. La fin du règne de l’économie traditionnelle engendre le détournement des pays développés vers des économies insulaires, productrices de matières premières. De facto, dans le secteur traditionnel abondant en main d’œuvre, est observé un déclassement des populations actives insulaires en population à la recherche d’emploi.

10Les migrations de 1950 à 1970 ont été qualifiées de « nécessité -alternative » afin de souligner l’idée d’un accord tacite entre les ex-pays colonisateur désireux de bénéficier des retombées de la libéralisation des échanges et les économies insulaires de la Caraïbe souhaitant anticiper l’amorçage de niveaux de chômage élevé.

11Entre 1980 et 1990, les mouvements migratoires de la diaspora caribéenne se poursuivent sous de nouvelles orientations. Zimmerman (1996), évoque l’idée selon laquelle, la migration internationale du capital humain résulte de la confluence de facteurs qui poussent les travailleurs hors de leur pays d’origine et de facteurs les attirant vers les pays d’accueil. Les mouvements migratoires dans la Caraïbe insulaire relèvent durant cette période de ces influences. De l’avènement de la mondialisation persiste les traces d’inégalités de salaires fortement présentent dans ces économies insulaires mais également entre  ces  économies et les pays développés, d’un chômage élevé  et de taux d’accroissement démographique galopants . Ce contexte décrit les multiples facteurs latents de pulsion.

12Parallèlement, durant cette décennie, les facteurs d’attraction émanent principalement d’accords commerciaux offrent aux ressortissants des territoires insulaires caribéens des arrangements préférentiels macroscopiques. A titre d’illustration, est observée une multiplication des accords commerciaux (la convention de Lomé, 1975; les accords de partenariat ACP-UE, CARIBCAN ) et la pénétration des investissements directs étrangers qui tendent à réduire le secteur agricole, contenir la part congrue du secteur industriel au profit du tertiaire dans l’activité économique des territoires insulaires Caribéens.
Cette conjoncture offre au capital humain des facilités avantageuses de migrer hors de la région et permettant de garantir l’accès à de nouvelles stratifications d’emplois stables et biens rémunérés.

13Les migrations développées dans les années 90 à 2000 proviennent de mutations socio-économiques. La flexibilité du travail accrue, la segmentation du marché du travail doublement marqué dans ces territoires, la fin du fordisme, influent sur le nombre de personnes migrant hors de ces territoires. Le stock de migrants de la Caraïbe passe de 909 000 à 1 071 000 entre 1990 et 2000. D’autres facteurs générateurs, comme les choix personnels dictés par l’intéressement à certains systèmes éducatifs et formations jugés performants, les différentiels en termes de niveau de vie, de prime entre pays d’accueil et pays d’origine, alimentent les flux de sortants. Le tableau 1 illustre l’activation des stocks de migrants de la diaspora caribéenne sur la période 1990 à 2000 dans quelques Etats de la Caraïbe.

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 1 : Routes migratoires extra et intra caribéennes 1950 à 2000

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Tableau 1 : Données migratoires  pour les pays de la Caraïbe

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14Par ailleurs, les diverses analyses descriptives menées concernant l’évolution des migrations dans la Caraïbe sur la période sont unanimes devant la forte tendance à l’accélération des mouvements migratoires dans la période 1990-2000. Au total, les mouvements migratoires se sont intensifiés. Des niveaux de variation de migration de la main d’œuvre  compris entre 3 et 8% sont constatés (tableaux 1). Les exemples les plus probants sont ceux des petites Antilles. Les îles francophones  avec une augmentation de  près de 4 points, enregistrent les taux de migration les plus élevé sur la période 1990-2000. Autre exemple, est celui des îles anglophones telles Saint-Kitts et Nevis et Saint-Vincent et les Grenadines.

1.2 L’exportation des cerveaux dans la Caraïbe

15Le tableau 3 met en exergue la propension à l’émigration de la main d’œuvre qualifiée (par niveau d’enseignement) dans la Caraïbe. La tendance à l’émigration est d’autant plus forte que les niveaux d’éducation sont élevés. La part des migrants ayant un niveau d’éducation primaire reste faible. Soit un taux d’émigration de la main d’œuvre ayant atteint un niveau primaire d’éducation de 8 % contre un taux d’émigration qualifiée  de 37 % (pour les migrants disposant d’un niveau secondaire). Parallèlement, le taux moyen d’émigrants qualifiés ayant un niveau d’éducation supérieur atteint en moyenne 63 % pour l’ensemble de la Caraïbe sur la période 1970-2000. Les îles de la Jamaïque, Haïti, sont les plus fortement enclines au départ de la main d’œuvre qualifiée. Les taux d’émigration de la main d’œuvre disposant d’un niveau d’éducation supérieur dans ces territoires, s’alignent autour de 80 %. Suivent les îles d’Antigua et Barbuda, Saint-Kitts  et Nevis, Trinidad et Tobago et Grenade avec des taux de l’ordre de 70 %.

Tableau 3: Taux d’émigration de la main d’œuvre (en %) vers les pays de l’OCDE, entre 1970 et 2000, selon le niveau d’éducation.

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Source: Docquier.F, A. Marfouk, 2005.

16Par ailleurs, l’analyse par région révèle sans nul doute le cas atypique de la Caraïbe en matière de migration de la main d’œuvre qualifiée. L’évolution des seuls taux d’émigration qualifiée  des plus de 25, soulignent indiscutablement la fuite des cerveaux dans la Caraïbe (figure1). Si dans les diverses régions du monde , les taux d’émigration des personnes hautement qualifiées suivent la même évolution, la figure 1 révèle a priori une évolution plus soutenue de l’évolution des taux d’émigration des personnes hautement qualifiée dans la Caraïbe comparativement aux autres régions.

 

 

 

 

 

 

Figure 2 : Evolution du taux d’émigration des adultes de 25 ans et plus hautement qualifié

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Source: Defoort. C, 2008.

 

17Docquier (2005 :.54) en procédant à l’analyse par région établit l’existence d’une relation décroissante entre la taille de la population et le taux d’émigration. Dans le cas de la Caraïbe, cette évidence ne semble pas vérifiée. Pour cause, d’autre déterminants des migrations dans la Caraïbe tels: l’instabilité politique, la conservation des liens coloniaux avec les anciennes métropoles, ou encore la proximité à certains pays développés, sont négligés. En effet, notons parmi les îles les plus peuplées appartenant à la cohorte Grandes Antilles, certaines d’entre elles enregistrent de faible taux émigration qualifiée. A titre d’exemple, les îles de Cuba,  la République Dominicaine présentent des taux relativement faibles soit respectivement 28,9%  alors que leur population approche les 10 millions d’habitants. A l’inverse, la Jamaïque et Haïti parmi les taux d’émigrants qualifiés les plus élevés, soit 82,5 % et 81,6%, sont des pays à forte population .
La Caraïbe ne relève des normes ou des constats établi par les analyses empiriques. La tendance à la hausse des taux d’émigration qualifié dans les territoires insulaires caribéens semble s’enregistrée.

2. Estimations des régressions explicatives du taux de migration qualifié

18En vue d’identifier les facteurs explicatifs de l’émigration qualifiée dans la Caraïbe, nous procéderons à une estimation à partir d’une variable endogène: le taux d’émigration qualifié. En effet, le taux d’émigration qualifiée transmet une vision claire de la taille et du niveau de puissance de la fuite des cerveaux (Docquier, 2007).
Ainsi, dans cette section, après présentation des variables retenues, nous procédons à l’aide de la modélisation à effets fixes en données de panels, à l’estimation de régressions explicatives du taux de migration et l’exposition des résultats.

2.1 Présentation des données

19Avant de procéder aux tests de régression, il convient de présenter les variables explicatives retenues pour notre étude. Nous disposons de données sur le taux d’émigration qualifiée Rath et Xu (2008) et Docquier et Marfouk (2005), complétées par des informations et statistiques économiques issues de la Commission économique pour l’Amérique Latine et la Caraïbe et de la Banque mondiale.
S’il est vrai que les causes de migration sont en liaison avec les facteurs démographiques, sociologiques et politiques; en partant de l’équation de Beine et al (2001), nous retiendrons comme facteurs explicatifs du taux d’émigration qualifié: la population ; les dépenses publiques d’éducation; le PIB par habitant. A mesure que le PIB par habitant s’accroit, il s’observe un relâchement des niveaux d’émigration. Inversement une diminution du revenu amplifie l’émigration (Faini et Venturini, 1993). Nous rajoutons le taux de chômage, particulièrement élevé dans cette région. Le taux de chômage est un déterminant de l’émigration dans les pays en développement. En effet, Inoki et Surugan (1981), Gordon et McCormich (1994) soulignent l’impact non significatif des taux de chômage locaux sur l’émigration  concluent à un impact positif. Enfin, nous avons choisi d’appréhender la mesure du capital humain  par les taux brut de scolarisation . Barro (1989) mesure l’éducation par les taux brut de scolarisation. Il distingue les taux bruts primaire et secondaire. Les variables sélectionnées sont présentées au tableau 4.

Tableau 4: Liste des variables explicatives du taux d’émigration qualifié

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Les informations statistiques relèvent essentiellement des pays les plus enclins au phénomène de fuite des cerveaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

2.2 Estimation économétrique et résultats

20L’estimation économétrique met en relation le PIB par habitant, les dépenses publiques d’éducation, le taux de chômage et la population.

21Les résultats sont donnés par l’équation suivante:

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22En suivant Sevestre (2002) , le test d’existence des effets fixes pour le ratio de migration n’est pas concluant : il n’existe pas d’effets spécifiques à chaque pays pour ce qui est du taux de migration des individus biens formés, au seuil de 5 % . Les pays sont relativement similaires quant à l’explication de leur ratio d’immigration. L’estimation présentée fournit la partie « universelle », commune, des relations étudiées hors des effets individuels (par pays).
Dans la perspective indiquée (non effet fixe), nous obtenons un R² de 0,43. La qualité globale de la régression est très correcte puisque la statistique de Fisher est acceptable à un seuil supérieur à 95 % (considérés dans leur ensemble les coefficients sont tous différents de la nullité).

23Les commentaires suivant présentent les résultats de l’estimation.
Pris individuellement, les facteurs significativement explicatifs  du ratio de migration (TXMIG) sont les dépenses publiques d’éducation (DEPPUB) et le niveau de revenu par tête (PIBHAB). Dans la Caraïbe insulaire encline aux migrations qualifiées, les dépenses d’éducation influent sur le niveau des taux d’émigration qualifiée. L’estimation économétrique révèle l’existence d’une liaison négative entre le niveau des dépenses publiques et le taux d’émigration qualifiée. En d’autres termes, moins un Etat investi dans le développement de son système éducatif et plus la tendance des émigrants qualifiés s’accentue. De manière simpliste, il est possible de conclure à un lien entre l’action des pouvoirs publics, le niveau de développement des systèmes et la tendance migratoires de la main d’œuvre qualifiée.

24Le PIB par habitant, apparaît comme un autre vecteur explicatif du taux d’émigration qualifiée. De la régression présentée, il en ressort que plus le PIB par habitant diminue et plus le départ du pays d’origine de la main d’œuvre ayant un niveau supérieur d’enseignement augmente. Ce constat peut être expliqué par le contexte saisissant d’une dynamique des inégalités économiques  régnant dans les économies insulaires de la Caraïbe. Ces pays présentant de faibles capacités d’absorption du marché du travail et des inégalités de revenus particulièrement prégnante, l’engouement itératif au départ de la Caraïbe insulaire est caractérisé.

25En définitif, il semble que plus le niveau de revenu est bas et les actions des pouvoirs publics en faveur du système d’enseigne sont ténues, plus les ressortissants des territoires insulaires caribéens émigrent à l’extérieur de leurs pays d’origine.

Conclusion

26L’objet de cet article à été de présenter des éléments de compréhension du phénomène de fuite des cerveaux dans la Caraïbe. Après analyse, nos conclusions sont doubles.
D’abord, des faits stylisés des mouvements historiques migratoires de la Caraïbe sont notifiés. Nous distinguons trois périodes des mouvements migratoires. Une phase amorcée depuis le début des années 50, conduit hors de la région les ressortissants caribéens. Ces déplacements de la population sont qualifiés de migrations de nécessité alternatives. Une période intermédiaire (1980-1990), durant laquelle les migrations de la main d’œuvre qualifiée au départ de cette région sont orientées à la fois par des facteurs de pulsion endogène et des facteurs d’attraction aux migrations influées par des mutations socio-économiques endogènes.

27Ensuite, des résultats de l’estimation économétrique précitée, il apparaît clairement que  le taux d’émigration particulièrement prégnant dans la Caraïbe, s’explique par niveau des dépenses d’éducation et du PIB par habitant.
Les proportions comparées des dépenses publiques jugées trop faibles tendent à accroître sensiblement le taux d’émigration des personnes qualifiées dans la Caraïbe. Devant l’inadéquation des efforts des pouvoirs publics, les ressortissant caribéens  émigrent en quête d’une meilleure offre d’éducation et de conditions économiques plus stables.
Devant l’explication de la fuite des cerveaux dans la Caraïbe insulaire, les capacités d’innovation et le besoin grandissant de compétences dans ces territoires insulaires caribéens, une analyse des effets causaux mettraient au grand jour les éventuelles pistes d’ajustements ou politiques publiques sui generis nécessaire à l’endiguement de la fuite des cerveaux

Bibliographie

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Source: Docquier.F, A. Marfouk, 2005.

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Source: Defoort. C, 2008.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fanny-Aude Bellemare, « Migrations et fuite des cerveaux dans les économies insulaires caribéennes : éléments de réflexion », Études caribéennes [En ligne], 16 | Août 2010, mis en ligne le 19 mai 2012, consulté le 01 mars 2016. URL : http://etudescaribeennes.revues.org/4702 ; DOI : 10.4000/etudescaribeennes.4702

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Auteur

Fanny-Aude Bellemare

Doctorante en Sciences Economiques et Sociales, CEREGMIA – Université des Antilles et de la Guyane. Faculté de droit et d’Economie de la Martinique. Campus de Schœlcher-Martinique FW, fanny.bellemare@gmail.com


afrique fuite des cerveaux ok_1_0

L’Organisation internationale du travail (OIT) et le Centre algérien de recherche en économie appliquée pour le développement viennent de publier le premier rapport qui s’intéresse à la fuite des cerveaux dans les pays du Maghreb. Intitulé «Fuite des cerveaux ou mobilité des compétences ? Une vision du Maghreb», ce rapport, que RFI a pu consulter, montre que de la Mauritanie à la Libye, le départ des élites diplômées est supérieur à la moyenne mondiale.

La fuite des cerveaux est un des problèmes cruciaux de ces trois dernières décennies au Maghreb. Leur principale destination ? L’Europe. Et surtout, la France. En 2012, plus de 850 000 Maghrébins diplômés de l’université vivaient dans les pays de l’OCDE. A cela, il faut ajouter 100 000 étudiants du Maghreb venus obtenir un diplôme étranger. 9 sur 10 sont Algériens ou Marocains.

D’abord, ce sont des médecins, des ingénieurs et des titulaires d’un master qui quittent ces pays. En Algérie par exemple, 1 partant sur 4 est diplômé de médecine. Autre point commun, les motifs de départ. Dans toute la région, le chômage des universitaires est aussi très élevé. Plus de 30% en Tunisie au moment de l’étude. Ces pays tentent-ils d’atténuer l’effet de la fuite des cerveaux ?

De son côté, après avoir tenté de bloquer les départs, le Maroc a choisi de donner plus de possibilités aux ressortissants installés à l’étranger pour collaborer à l’économie depuis l’Europe et de faciliter leur retour au pays.

Pour ce qui est de la Mauritanie, le rapport pointe le manque de prise en compte des diplômés par les stratégies économiques et les politiques publiques développées depuis des années, mais aussi les salaires des fonctionnaires qui sont parmi les moins élevés de la sous-région.

En Mauritanie, le corps médical particulièrement touché

« Je suis dans une équipe médicale où j’ai un rôle mais je pense que je serai facilement remplaçable et que je serai beaucoup plus utile en Mauritanie. » Boubou Camara est aujourd’hui pneumologue à Grenoble en France. Originaire du sud de la Mauritanie, il a étudié au Maroc et a ensuite tenté de rentrer dans son pays.

Pendant deux ans, aucun recrutement de médecin n’a eu lieu dans le service public. Il décide donc d’aller se spécialiser en France. Ce choix a déterminé la suite de sa carrière mais c’est un choix par défaut, explique-t-il. « Moi, j’aurais souhaité mettre toutes ces compétences au service de ma nation, le problème c’est que rien n’est organisé pour ça. C’est vraiment, je pense, un problème d’organisation et de volonté politique. »

Pour Boubou Camara, ce n’est pas le salaire qui freine les expatriés à rentrer mais le manque d’intérêt manifesté par les autorités qui ne valorisent pas assez les compétences.

« Parcours du combattant »

Outouma Soumaré, premier neurochirurgien de Mauritanie, confirme qu’il faut avoir de l’énergie et un vrai projet, quand on a étudié en France et qu’on veut rentrer dans son pays. C’est le choix qu’il a fait, depuis 15 ans. Même si l’organisation du système de santé a parfois raison de son énergie.

« Je consulte dans un hôpital, je prescris des examens, notamment l’IRM, qui ne sont pas pratiqués dans l’hôpital où j’exerce et ensuite j’opère dans un troisième hôpital. C’est un parcours du combattant pour le patient mais aussi pour le praticien que je suis », confie-t-il.

Outouma Soumaré a dû multiplier les heures dans le privé pour compléter son salaire de 500 euros à l’hôpital public. Il ne cache pas qu’il a parfois des doutes sur son travail. Mais quand il craque dans sa tête explique-t-il, il lui suffit de penser aux progrès réalisés dans la prise en charge des malades ces 15 dernières années dans son pays.

Par RFI Publié le 09-11-2015 Modifié le 09-11-2015 à 05:00


brain tunisie

Des données rendues publiques indiquent que plus de 4200 Tunisiens hautement qualifiés résident à l’étranger et exercent dans divers domaines de compétences. D’après la troisième session du forum des compétences tunisiennes résidant à l’étranger, conjointement organisée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et l’Agence tunisienne de la Coopération technique (ATCT), 31% des Tunisiens hautement qualifiés résident en France, 13% au Canada, 11% aux USA, et 10% en Allemagne. Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Technologie a, à l’occasion, annoncé la mise en place d’un programme pour le renforcement des liens de coopération scientifique et technique entre les structures et les équipes de recherche tunisiennes et les chercheurs tunisiens résidant à l’étranger

Le programme vise à favoriser l’accueil des chercheurs tunisiens installés à l’étranger dans les structures de recherche du pays afin d’entreprendre des actions conjointes de recherche et de développement technologique. Il a aussi pour objectif de favoriser la création d’une dynamique de coopération et de partenariat scientifique et technique entre les structures de recherche tunisiennes et celles au sein desquelles exercent les chercheurs tunisiens résidant à l’étranger. APA a appris, auprès des responsables de l’ATCT, que le programme de coopération avec les chercheurs tunisiens concerne «prioritairement » les domaines de recherche et de développement technologique suivants : Technologies de l’information et de la communication, la biotechnologie, l’énergie, l’eau, lenvironnement, l’agriculture, les sciences et technologies de la mer, la santé, et les sciences sociales et humaines. Il a également été annoncé que l’accueil des chercheurs tunisiens résidents à l’étranger dans les structures de recherche et de développement technologique (centres de recherche, laboratoires et unités de recherche, établissements publics de santé, centres techniques, technopoles) est prévu sous forme de séjour scientifique et technique de un à dix mois. Le Pr Abderrahmane Robanna, membre du Comité de lecture de l’International Journal of Management and Technologies, et le savant Mohamed El­awsat Ayari, directeur conseiller au département de l’exploration aérospatiale à la NASA, dans l’Etat du Colorado, figurent en bonne place parmi les valeurs sûres de la diaspora tunisienne. Cinq autres savants tunisiens font partie des chercheurs les plus en vue dans les laboratoires de physique nucléaire aux Etats­Unis.

Lundi 18 Août 2008 APA­ Tunis.


maroc drain brain


397.000 diplômés du supérieur se sont installés à l’étranger

Les Marocains constituent la première communauté maghrébine installée à l’étranger. Ils représentent 46% suivis par les Algériens (23%), les Tunisiens (20%), les Libyens (7%) et les Mauritaniens (4%). L’ensemble de ces ressortissants représente environ 5% de la population maghrébine. Un taux nettement supérieur au taux moyen mondial estimé à 3,2%. C’est ce qui ressort d’une étude  du  Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD) présentée mardi dernier à Alger.
Réalisée  entre décembre 2014 et février 2015 sur  la fuite des cerveaux et le développement dans l’espace de l’Union du Maghreb arabe (UMA), cette étude a observé une nette progression du nombre de migrants diplômés du supérieur. Ils sont estimés actuellement à 853.000 personnes contre 585.000 en 2000, soit un taux de croissance de 31%. En 2000, le taux d’émigration des Marocains ayant fait des études supérieures a été de 17%, de 13% pour les Tunisiens et de 9% pour les Algériens.   Les ressortissants marocains arrivent en tête du peloton des migrants diplômés du supérieur au niveau du Maghreb avec 397.000 soit un taux de 46 % devant l’Algérie (37%) et la Tunisie (12%).  La Libye et la Mauritanie viennent en 4ème et 5ème positions, avec respectivement 3% et 1%.
Le Maroc est également bien situé au niveau des migrations estudiantines provenant des pays de l’UMA qui ont connu une progression constante ces dernières années, précise l’étude. Il compte plus de la moitié des effectifs des étudiants maghrébins à l’étranger. Une place fortement concurrencé par la Tunisie qui enregistre une croissance de 50% depuis l’an 2000.
Entre 2010 et 2011, date de  la révolution du jasmin, 306.000  Tunisiens ont quitté leur pays. Un ancien rapport du Forum euro-méditerranéen des instituts de sciences économiques (FEMISE) a indiqué  qu’entre 2003 et 2008, le nombre d’étudiants tunisiens en Europe a été multiplié par deux, et le pourcentage de ceux qui y restent travailler est d’autant plus élevé.
De son côté, l’étude du CREAD a souligné  que le taux de croissance moyen  de cette migration pour les trois pays du Maghreb central (Algérie, Maroc et Tunisie) était de 26% entre 2000 et 2012.  Pourtant, Mohamed Charef, directeur de l’Observatoire  régional de migration et l’un des participants à l’atelier de présentation de l’étude du CREAD, estime que l’appellation «fuite des cerveaux» est équivoque et préfère parler plutôt de mobilité de compétences. «On ne peut pas empêcher les gens d’aller étudier ou travailler à l’étranger comme on ne peut pas les contraindre à revenir dans leur pays d’origine une fois qu’ils ont décroché leurs diplômes», nous a-t-il précisé avant d’ajouter : «Et même la notion de compétence reste floue puisqu’on n’arrive pas à s’accorder sur son contenu. Faut-il limiter ce concept aux seuls ingénieurs, professeurs ou faut-il inclure également les artistes et  les sportifs?».
D’ailleurs, il estime que le Maroc ne souffre pas de ce phénomène malgré ces taux élevés. «On n’a pas encore atteint la situation de certains pays qui connaissent une hémorragie au niveau de leurs compétences. Le Royaume entretient de bonnes relations avec ses compétences à l’étranger via des associations et des partenariats», a-t-il conclu.
Hassan Bentaleb in LIBÉRATION
Lundi 20 Avril 2015

drain brain

L’ouvrage intitulé De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences –  Une vision du Maghreb, publié cette semaine par le Centre de recherche en études appliquées pour le développement (Cread) en collaboration avec le bureau de l’Organisation internationale du travail (OIT) à Alger sous la houlette du sociologue et chercheur Mohamed Saïb Musette, offre une analyse   intéressante sur un phénomène qui vide le pays de sa substance et incite à s’interroger sur la place des  élites dans la société algérienne.

Les médecins spécialistes voient leur avenir ailleurs

Beaucoup de médecins, formés en Algérie, voient leur avenir sous d’autres cieux. C’est, en tout cas, l’un des enseignements de l’étude De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences… publiée cette semaine par le Centre de recherche en études appliquées pour le développement (Cread). Il y aurait, à en croire le Dr Zehnati, statisticien, près de 10%  de médecins formés en Algérie à exercer dans les hôpitaux français. Au-delà du simple constat, il est à s’interroger sur les raisons qui poussent les blouses blanches à accepter un déclassement et un niveau de vie inférieur.

Les motivations des médecins qui choisissent de s’exiler demeurent une énigme pour les chercheurs du Cread. Elles ne sont probablement pas salariales vu que les docteurs en médecine sont mieux lotis en cette matière que d’autres secteurs. Affirmer que les médecins algériens sont bien payés serait bien sûr aller vite en besogne, mais les salaires qu’ils perçoivent sont plus importants que ceux des autres cadres du secteur public. «Si nous comparons le salaire moyen avec les salaires perçus par les médecins du secteur public, il est clair qu’ils gagnent plus que le salaire moyen d’un cadre en Algérie.

 

Le médecin généraliste perçoit 32% de plus que le salaire moyen, le maître assistant 54% de plus, le médecin spécialiste de santé publique perçoit 88% de plus, et le professeur chef d’unité est rémunéré presque quatre fois plus qu’un cadre dans les autres secteurs  de l’économie», souligne le Dr Zehnati. La raison est donc à chercher probablement, susurrent des chercheurs au Cread, dans le type de gouvernance qui domine dans le système médical. Cela s’apparenterait à un «mouvement socio-politique». «L’individu se sent mort dans la communauté», explique un sociologue qui insiste néanmoins sur une étude psychologique du phénomène.

 

Ce sont les psychiatres algériens qui sont les premiers à répondre aux sirènes de l’occident, représentant un taux de 30% installés en France, suivis par les radiologues (15,55%), les ophtalmologues (13,10%) et les anesthésistes en réanimation (12,96%). Quant à la chirurgie générale et la gynéco-obstétrie, elles affichent les plus faibles taux de fuite avec respectivement 3,45% et 3,18%. Les docteurs en médecine représentent 22,46% de l’ensemble des effectifs des diplômés les plus élevés exerçant en France. Ils se situent presque au même niveau que les ingénieurs avec 23,73% de l’ensemble.

37% des compétences algériennes en France touchent plus  de 2500 Euros

Les Algériens qualifiés osent désormais l’aventure professionnelle sous d’autres cieux. Mohamed Saïb Musette, qui a analysé les différentes statistiques, fait remarquer dans une étude consacrée à la fuite des cerveaux que les hommes et les femmes ayant un niveau d’études supérieur et qui choisissent de s’établir à l’étranger sont désormais – presque – à parts égales. «On constate, explique-t-il, qu’il y a 24,8% des femmes et 27% des hommes avec un niveau d’études supérieur. Peu de différences existent entre les femmes et les hommes, avec une forte féminisation chez les jeunes. Ils sont en majorité en pleine maturité (classe d’âge 25-45 ans)».

 

Au vu des chiffres, il apparaît que les compétences algériennes installées à l’étranger s’en sortent plutôt bien. Plus de la moitié des immigrés algériens qualifiés avaient un contrat de travail à durée indéterminée, 11% exerçaient des professions libérales, et 9,2% étaient au chômage. Pas moins de 34% d’Algériens installés en France sont des cadres ou exercent des professions intellectuelles, contre 14% qui sont des «employés».

Le niveau des rémunérations des compétences originaires d’Algérie varie entre moins de 500 euros à 8000 euros et plus. Le regroupement des niveaux, en trois classes plus ou moins homogènes, donne 35% des personnes qui perçoivent moins de 1500 euros, 25% entre 1500 et 2500 euros, et puis 37% avec plus de 2500 euros. La rémunération comprend, précisent les auteurs, une catégorie de personnes sous-payées, mais elle dépend aussi du volume horaire de travail, donc de la nature du contrat de travail. Une part importante des médecins a obtenu son diplôme en Algérie. On observe aussi une progression d’Algériens détenteurs de 3e cycle.

Ils sont pour la plupart en activité. Ils connaissent certes le chômage, mais nettement moins que ceux qui n’ont pas de formation universitaire. Ils occupent pour la plupart des postes d’emploi dans des professions libérales et intellectuelles. En tout et pour tout, il y a un niveau assez faible de «brain waste» – soit à travers des emplois n’exigeant pas de niveau supérieur ou alors ils sont sous-employés avec une faible rémunération. «Ce phénomène peut donner lieu à des  »gains » pour l’Algérie d’une autre manière à partir de la migration de retour, réelle ou virtuelle», estime Saïb Musette, optimiste.

«Certaines compétences se sentent inutiles en Algérie»

La course à l’obtention  d’un bac français ou d’un diplôme d’équivalence (notamment en médecine) le prouve : les compétences nationales cherchent souvent de belles opportunités de travail hors des frontières de leur pays natal. La liste des «causes endogènes» suscitant une envie d’ailleurs chez les intellectuels algériens égrenée par Mohamed Saïb Musette est longue : la recherche de meilleures opportunités de travail, l’attrait des diplômes des universités de renommée ou des grandes écoles étrangères, les avantages matériels et financiers offerts aux cadres et universitaires algériens, la prospection d’un meilleur environnement professionnel et d’un cadre de vie qualitatif, les lourdeurs administratives, les blocages bureaucratiques, les difficultés socio-économiques et les limites d’épanouissement culturel motivent le départ de cadres et d’universitaires, les faibles débouchés pour les diplômés, en particulier universitaires, le souci d’assurer un meilleur avenir à ses enfants.

La cause du départ dépasse, selon lui,  le cadre individuel et se détermine pour des considérations familiales et sociales. En effet, souligne le sociologue, des adultes, des jeunes, issus principalement de familles aisées, quittent le pays dès l’obtention du bac «français». «Ce phénomène, dit-il, s’est amplifié avec l’avènement des écoles privées et l’ouverture des lycées français en Algérie qui préparent à ce bac. Des instituts et des écoles supérieures privées sont ouverts principalement à Alger, affiliés à des établissements similaires étrangers. Les enfants d’expatriés algériens ne rejoignent pas le pays après la fin de leur cursus universitaire ou à la sortie d’une grande école.»

Le fait est que le référent de la réussite sociale et professionnelle en dehors de l’accomplissement universitaire et scientifique a été flouée dans ses références et ses valeurs. «Un segment de compétences (intellectuelle et professionnelle), décrypte Musette,  se considèrent comme marginalisées et inutiles. Le savoir et les diplômes ne seraient pas des critères objectifs et incontournables de l’ascension sociale et professionnelle, l’affairisme et le favoritisme seraient devenus les moyens reconnus et privilégiés. Les compétences vont donc tenter de s’accomplir et de s’épanouir ailleurs, notamment dans certains pays du Nord.»

A cela s’ajoutent des facteurs exogènes, comme les facilitations d’installation dans le pays d’accueil, l’octroi de bourses d’études,  l’impact des «success stories» dans les motivations de la recherche des opportunités d’études et de travail à l’étranger ou encore le recrutement à la source, en Algérie, des compétences.  Entre les facteurs de répulsion (endogènes) et les facteurs d’attraction (exogènes), il existe une multitude d’obstacles qui sont autant de barrières à franchir. Dans son «Etude sur les étudiants maghrébins en France», (2004), Abdelkader Latreche observait que 27% des étudiants algériens en France n’envisagent pas le retour au pays, la plupart en formation doctorale, dont 46% pensent partir vers d’autres horizons.

Le difficile retour des migrants

Les migrants qui passent le moins de temps dans leur pays d’accueil sont plus amenés à revenir. A en croire l’étude menée par le sociologue et chercheur Mohamed Saïb Musette,  près de 37% des migrants maghrébins qualifiés qui sont rentrés au pays n’ont séjourné que 5 années ou moins dans le pays d’accueil, et seulement une minorité (8%) est restée une période de 27 ans ou plus. Il faut dire que pour les binationaux, les difficultés sont grandes. Mohamed Saïb Musette en relate quelques-unes dans l’ouvrage du De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences publié cette semaine. Les migrants de retour sont parfois vus d’un mauvais œil par leurs compatriotes algériens.

 

Aux compétences envoyées par le gouvernement pour suivre une formation à l’étranger et préférant rester dans le pays de leurs études on reproche leur égoïsme et le manque de leur engagement pour leur pays qui les a formées. «Ayant signé un contrat d’engagement avant leur départ pour l’étranger, ces compétences doivent faire l’objet, selon les partisans de cette attitude de poursuites judiciaires pour rembourser les frais de leur formation payée en devises. Les clivages et les attitudes hostiles des compétences algériennes restées au pays sont étroitement liés aux avantages matériels et les conditions de travail revendiqués par les compétences sollicitées en contrepartie de leur participation.

Le rapport aux compétences établies à l’étranger se transforme, ainsi, en un problème dès qu’il est perçu sous l’angle des privilèges de la réussite», fait remarquer le sociologue. Il cite notamment l’exemple du recrutement du groupe Cevital de deux cadres émigrés. «A la recherche de deux cadres de haut niveau capables d’apporter un savoir-faire nécessaire à la compétitivité du groupe sur le marché national et régional, relate-t-il, les responsables de ce groupe ont fait appel à un cabinet de recrutement anglais qui a jugé que le recrutement des deux cadres d’origine algérienne est plus approprié pour le contexte algérien (…)

L’installation de ces deux cadres a donné lieu dans un premier temps à un mouvement de mécontentement des cadres du groupe qui ont reproché à la direction de suivre une politique de discrimination entre les cadres exerçant les mêmes fonctions. Ce mouvement de mécontentement a vite évolué vers un mouvement de grève qui a fini par obliger la direction du groupe à renoncer au recrutement des deux cadres en question». S’il est vrai qu’il y a eu des échecs, il est à noter qu’il existe aussi de belles réussites des compétences algériennes revenues au bercail.

Innovation : Une richesse inexploitée

L’Algérie dispose d’une richesse inestimable : notre pays compte pas moins de 539 inventeurs…mais ils  vivent dans 23 pays différents. Les inventeurs algériens comptent à leur actif pas moins de 3036 inventions contre seulement 300 dans leur pays. «Malheureusement, écrit Mohamed Saïb Musette,  l’Algérie ne profite guère de ses inventeurs qui résident pour la majorité d’entre eux aux Etats Unis d’Amérique, en France et au Canada.

L’existence de ce potentiel intervient au moment où les capacités d’invention en Algérie sont très faibles.» Le fait est que le recueil de l’invention publié par la Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique (DGRSDT) révèle l’écart important entre le nombre de brevets déposés par les inventeurs algériens restés au pays et celui des inventeurs établis à l’étranger.

 

Amel Blidi in El-watan le 11.02.16 |
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La question de la fuite des cerveaux qui n’a pas été évoquée publiquement par le successeur d’Ahmed Ouyahia ne donne pas l’impression de constituer une priorité pour le nouveau gouvernement.

L´Algérie a-t-elle échoué dans le projet qu´elle s´est fixé pour retenir ses compétences? Le sujet serait-t-il à ce point tabou pour qu’il n’ait pas fait partie des priorités de l’action du gouvernement? Si tel est le cas, on peut affirmer d’ores et déjà que le développement économique auquel elle aspire est sérieusement compromis. S’il existe un  phénomène sur lequel les gouvernements successifs depuis 1962 se sont cassés les dents, c’est bien celui de la fuite des cerveaux auquel il faut ajouter celui plus récent des harraga. Le second est plus violent.
Dramatique et tragique il met en exergue le mal-être de ses acteurs et souligne la fracture et le désamour entre eux et cette terre qui les a vu naitre. Dans les deux cas c’est l’Algérie qui se vide de ses forces vives. Le thème de la gestion de la ressource humaine et des préoccupations de la jeunesse ont toujours été au centre des interventions du chef de l’Etat. «Le plus grand défi que nous devons relever aujourd´hui est la bonne gestion des ressources humaines, qui reste un acquis stratégique, à travers l´orientation et la formation du capital humain», avait déclaré Abdelaziz Bouteflika, le 19 mai 2008, à l´occasion de l´ouverture des Assises nationales sur l´enseignement supérieur et la recherche scientifique. Le gouvernement Sellal qui s’est doté d’un programme ambitieux pour sortir le pays du marasme dans lequel il barbotte depuis pratiquement l’indépendance ne peut s’en passer. Il ne peut marginaliser ces compétences ou cette force de travail, indispensables à la réussite de sa mission. Surtout qu’il est pratiquement pris à la gorge. Le secteur du tourisme ambitionne toujours d’attirer 2,5 millions de touristes d’ici l’horizon 2015, alors que le ministre de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’investissement, annonce la création de deux millions de PME d’ici 2025,celui de l’habitat, la construction de 3 millions de logements comme est prévue l’amélioration des prestations des établissements hospitaliers…Certains secteurs (BTP, ressources en eau…) ont fait appel à la main d’oeuvre et au savoir-faire étranger à l’instar de celui de la culture qui se plaint de ne pas avoir de spécialistes en matière de restauration du patrimoine immobilier. La ressource humaine est donc au coeur de ces objectifs qui ont été assignés à la nouvelle équipe gouvernementale. Comment les atteindre lorsque l’on sait que quelque 100.000 diplômés ont quitté l’Algérie en moins de 30 ans et font actuellement le bonheur de leur pays d’accueil tandis que certaines statistiques font mention de quelque 5000 algériens qui, tous les ans, partent s’installer au Canada. 4000 médecins se sont installés en France. A ce rythme, soit une génération, l´Algérie sera vidée de ce qu´elle a de plus précieux: sa matière grise, sa jeunesse. «D´ici à 25 ans, l´Algérie aura perdu toutes ses compétences», avait déclaré au début du mois d’août 2008 sur les ondes de la Radio nationale chaine III, le président de l´Agence algérienne des ressources humaines, M.Ahmed Mena. Tout porte à croire que tous ces cadres sont définitivement perdus pour le pays. Que souhaitent ceux qui sont tentés de les rejoindre? La réponse est claire: Des conditions de travail attrayantes dans un environnement sain expurgé des contraintes bureaucratiques et de la cooptation, en d’autres termes bannir le piston, bénéficier d’un environnement et d’un salaire dignes de leur statut. L’Algérie peut-elle les leur offrir? En principe oui. Les 200 milliards de dollars de réserves de change peuvent y largement contribuer. L´économie nationale ne doit pas être condamnée à faire sans cesse appel au savoir-faire étranger et au transfert de technologie. Une politique qui fait la part belle aux affairistes.
Elle a sous la main un potentiel de matière grise qui peut relever le défi du développement, reste à lui en donner les moyens…

*L’Expression-03.10.2012.

Plus de 6.000 médecins formés en Algérie exercent à l’étranger

Le nombre de médecins formés en Algérie et qui sont partis à l’étranger pour exercer le métier est de plus de 6000 a indiqué mercredi à Alger, le Pr. Moussa Achir, pédiatre à l’Hôpital Bir-Traria.
« Plus de 6000 médecins ayant suivi leurs études en Algérie ont quitté le pays pour exercer le métier à l’étranger notamment en France », a précisé le Pr. Achir dans une intervention à la conférence consacrée à la prise en charge de la santé du citoyen dans la région du Maghreb.
Alors que les établissements de santé en Algérie souffrent d’un manque d’encadrement surtout des spécialistes, et faute de prise en charge, plusieurs médecins préfèrent aller à l’étranger, a-t-il regretté.
L’intervenant a mis l’accent sur la nécessité de trouver une solution à cette situation par la prise en charge des préoccupations des médecins. « Nous ne pouvons pas demander à un médecin spécialiste d’aller travailler au sud si les conditions sociales ne lui sont pas favorables », a-t-il expliqué.
Soulignant, par ailleurs, que l’Algérie est en retard en matière de technologies nouvelles, le professeur Achir qui est aussi chef de projet télémédecine-télédiagnostic à l’Hôpital Bir-Traria a plaidé pour la mise en place d’un système de télémédecine dans toutes les structures hospitalières.
Pour parer à ce manque d’encadrement, l’Algérie est appelée à développer les nouvelles technologies dont la télémédecine pour que les médecins puissent donner leurs avis médicaux à distance, une solution pratiquée dans les pays développés qui est moins coûteuse et moins pénible pour le patient, a conclu

Moussa Achir.*APS-04.10.2012.


L’exode des compétences algériennes vers les pays de l’hémisphère nord a lourdement affecté les efforts entrepris en matière de développement. Les conditions socioprofessionnelles et sécuritaires des années 90 étant, nettement, dégradées ont favorisé la fuite, l’installation et l’épanouissement de ces compétences sous d’autres cieux sans que l’Algérie ne puisse en tirer le moindre profit. Pire encore, l’ampleur des dégâts occasionnés à l’économie algérienne par ce phénomène est extrêmement ahurissante. « La fuite des compétences à cause de certaines conditions aussi délicates que dramatiques a coûté à l’Algérie plus de 100 milliards de dollars. » C’est du moins ce qu’a déclaré, hier, Farid Benyahia, professeur en relations internationales et consultant au Pnud, à l’issue d’une table ronde tenue au Forum d’El Moudjahid. Cet expert, auteur d’un ouvrage sur l’adhésion de l’Algérie à l’OMC, dira que cet état de fait constitue l’élément clé qui a grandement entravé le processus d’adhésion de l’Algérie à l’Organisation Mondiale du Commerce. Il faut dire, dans ce contexte, que les chercheurs et les experts algériens sont, pour le moins que l’on puisse dire, tenus à l’écart des bouleversements socioéconomiques et grandement marginalisés au plan social. On sollicite rarement leurs opinions concernant des questions aussi pertinentes soient-elles. Et avec les événements dramatiques survenus durant la décennie noire, l’exode vers les pays occidentaux est perçue comme unique solution afin de vivre en paix et avoir en main la clé de voûte de leurs projets. Plus de 100 milliards de dollars, ce chiffre, comparable à des revenus nationaux de certains pays, est malheureusement ce qu’a perdu l’Algérie en laissant ses élites, formées localement ou ailleurs avec des fonds nationaux, « errer » dans d’autres pays. « Maintenant, l’État doit investir davantage et revaloriser le capital humain », a clamé Farid Benyahia. L’Algérie se porte bien au niveau de la macroéconomie. Mais en contrepartie, ce succès reste, aux yeux de cet expert, grandement entravé par l’absence d’une stratégie économique claire. « Il faut bien réfléchir et avoir une stratégie industrielle, chose qui n’existe pas actuellement. Jusqu’ à quand les pouvoirs publics continueront-ils d’agir sans se doter d’une stratégie industrielle claire? », se demande l’intervenant et d’ajouter en guise de réponse : « pour ce faire, on doit revaloriser nos compétences et faire revivre la flamme du vrai nationalisme. Car rien n’est impossible quand on est motivé par l’amour du pays. C’est des hommes de valeur qui manquent. Actuellement l’Algérie ne possède guère de stratèges », a observé le conférencier. Selon lui, l’Algérie renferme des compétences professionnelles et des moyens techniques et financiers importants, mais elle est victime d’un système et à chaque fois qu’il y ait une occasion d’un décollage économique réel, des entraves de tous bords surgissent. « On a fait beaucoup d’erreurs. On a perdu beaucoup d’argent, tout simplement perce qu’on n’a pas de planification. Il faut savoir gérer son argent. On gère l’Algérie le jour au jour. Il n’y a pas de bonne gouvernance. L’Algérie et l’Algérien ont besoin de liberté, liberté économique, de penser et d’initiatives. L’Algérien réussit mieux dans un environnement de liberté », at- il déclaré sur un ton ferme, tout en ajoutant qu’« il faut qu’il y ait une vision lointaine et une volonté politique pour changer les choses et par ricochet adhérer à l’OMC ». Outre la fuite des cerveaux et l’inexistence d’une stratégie, le professeur Farid Benyahia, soulève plusieurs autres obstacles. Un système bancaire qui reste archaïque, d’énormes problèmes au niveau de la micro-économique, problèmes aigues au niveau de la gestion du foncier agricole et industriel… sont entre autres des problèmes qui font que notre économie a du mal à s’adapter aux règles de l’adhésion à cette organisation. En évoquant l’importation, il donnera l’exemple du commerce de véhicules qui est estimé, en 2008, à 3 milliards de dollars, ce coût permettra facilement la construction de 8 à 10 unités de montage. Même son de cloche chez un autre intervenant à cette table ronde en ce qui concerne l’inexistence d’une volonté politique permettant l’accession de l’Algérie à l’OMC. Outre cet état de fait, cet intervenant a tenu à soulever le problème de l’instabilité des membres du comité chargé de faire aboutir le dossier algérien. « On se demande si réellement les négociateurs sont à la hauteur de la mission dont ils ont la charge : Faire adhérer l’Algérie à l’OMC tout en défendant ses intérêts», s’est interrogé Alaoui.

In le Courrier d’Algérie-28.01.2010.